Marente de Moor, La Vierge néerlandaise

« Des larmes me sont montées aux yeux. Le mal du pays ? Je ne pensais pas souvent à mes parents. Peut-être qu’ils s’adressaient à nouveau la parole à présent que je n’étais plus entre eux. Nos soirées ne me manquaient pas. Mes amies, même, ne me manquaient pas. Les couleurs avaient passé, comme celle d’un magazine maintes fois lu. Je ne pourrais jamais leur raconter ce que j’avais vécu. »

C’est l’été 1936. Janna, jeune néerlandaise de dix-huit ans, va faire un séjour à quarante kilomètres de chez elle, en Allemagne, chez un ancien ami de son père. Egon von Bötticher va l’aider à se perfectionner en escrime, sport qui passionne la jeune fille. Dès son arrivée, elle ne sent pas très à l’aise dans la grande propriété. Von Bötticher se montre peu accueillant, seule Léni, la femme du couple de domestiques la met, de manière sibylline, au courant des habitudes de la maison. Les entraînements d’escrime commencent, et arrivent aussi deux garçons un peu plus jeunes que Janna, des jumeaux.

« Avant que ces bras gauches n’envahissent la salle d’escrime, cet emblème avait eu une existence grisâtre sur les timbres-poste et sur les reichsmarks, les petites cuillères des fêtes commémoratives, la besace militaire de Heinz et la camionnette du boucher, qui était d’ailleurs le seul de nos visiteurs à remplir son devoir en faisant le salut hitlérien. »

Le roman commence par une lettre du père de Janna à son ami d’autrefois, et donne l’impression de contenir beaucoup entre les lignes, ce qui rend le roman assez intriguant, d’emblée. La narratrice est Janna, ce qui offre un décalage curieux avec le titre, on peut supposer qu’elle ne se nomme pas ainsi elle-même. Mais par la suite arrivera une explication de ce titre à double sens. L’écriture est remarquable dès les premiers chapitres qui mettent en place le décor et les personnages. Parlons-en, des personnages : autour de Janna, pas plus mal dans sa peau que tout autre jeune fille de son âge, ils ont chacun leur singularité et provoquent souvent des situations qui la mettent mal à l’aise. Le contexte du nazisme rend les circonstances encore plus équivoques, ainsi que l’organisation par le maître d’escrime de combats avec armes non mouchetées. Janna tombe sous le charme de cet homme aussi âgé que son père, mais reste lucide, toutefois. Cette jeune fille compose un personnage particulièrement intéressant.
La localisation entre Pays-Bas et Allemagne, ainsi que l’époque troublée, rendent ce roman initiatique atypique et prenant d’un bout à l’autre.
Les thèmes de l’amitié, de l’amour, de la folie, de la gémellité, s’y croisent de manière habile et l’écriture reste de bout en bout à la hauteur de cette histoire particulière. J’ai l’impression que les auteurs néerlandais, pour ce que j’en ai déjà lu, aiment bien cultiver l’ambiguïté, un certain trouble, et si vous aimez cela, vous goûterez sans nul doute ce roman.
C’est l’une des premières parutions de la nouvelle maison d’édition des Argonautes, et c’est un roman qui a obtenu de nombreux prix à sa sortie en 2010.

La Vierge néerlandaise (De Nederlandse maagd, 2010), de Marente de Moor, éditions des Argonautes, janvier 2023, traduction de Arlette Ounanian, 320 pages.

26 commentaires sur « Marente de Moor, La Vierge néerlandaise »

  1. Ce billet est incroyablement tentateur je note tout de suite ce livre. Dont la lecture viendra mais je ne sais pas quand .

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      1. Je dois avouer que le passage « un certain trouble » ont refroidi mon enthousiasme. Du trouble au glauque il n’y a parfois qu’une frontière très mince que je n’aime pas franchir.

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  2. Comme Alex, j’ai quelques doutes pour le côté roman initiatique et le résumé ne m’inspire pas trop, mais je vais garder un oeil sur cette maison d’édition qui a l’air de proposer des romans hors des sentiers battus.

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  3. Dire que j’ai failli ne pas lire ton article car je pensais, vu le titre que c’était une autobiographie féministe et militante … Et bien, j’aurais loupé une lecture qui me tente beaucoup !

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    1. Ah, c’est marrant, ça. J’ai oublié de parler de la couverture, tiens, c’est une photo d’Helene Meyer, fleurettiste allemande des années 30, que la jeune fille admire.

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  4. Je l’ai trouvé atypique moi aussi, intrigant avec des ellipses et des personnages ambigus. La petite chose qui a manqué pour moi est que je ne me suis pas attachée à l’héroïne dont j’ai par contre apprécié la modernité. L’écriture est en tous cas très marquante, je suivrai l’autrice !

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