Maryla Szymiczkowa, Madame Mohr a disparu

« Parfois, allongée sur le canapé, elle posait son livre sur sa poitrine, avec l’index comme marque-page, et songeait qu’à une autre époque elle aurait pu être davantage elle-même; elle se voyait conne Cléopâtre, Zénobie, ou encore Grazyna, ou peut-être Elizabeth l’Anglaise… (…)
En attendant, elle devait se contenter de donner ses recommandations à Franciszka, de planifier les repas pour la semaine à venir et de veiller à ce que la poularde fût retirée à temps du four. »

En 1893, à Cracovie, Zofia Turbotyńska, mariée à un professeur de médecine, s’occupe de son intérieur et de diriger ses domestiques, tout en souhaitant de tout cœur parvenir à intégrer la haute société de la ville. Cela consiste à organiser des dîners, à participer à tous les événements culturels et officiels, première d’opéra ou enterrement de personnage public, et aussi à s’engager dans des œuvres caritatives. Ce qui n’est pas simple, certaines étant jalousement gardées par d’autres bonnes dames. Elle réussit à s’engager auprès d’une maison de soins pour personnes âgées, la maison Helcel, juste au moment où une résidente disparaît, puis une autre est assassinée.
Mme Turbotyńska pense que la première dame retrouvée morte a été tuée aussi, et elle voit dans ces événements une occasion de mener une enquête, comme dans les romans policiers, genre nouveau qu’elle adore lire.

« Une chose était évidente à ses yeux : en aucun cas Ignacy ne devait deviner que sa femme, au lieu de se consacrer aux occupations propres à son sexe, à sa position et aux règles d’un mariage honnête, folâtrait dans des bâtiments d’utilité publique à la recherche d’un étrangleur-assassin. »

Je commence le mois de l’Europe de l’Est avec ce roman policier historique polonais, du genre « cosy mystery » (je traduirais bien par « enquête au coin du feu ») écrit à quatre mains par un couple de jeunes auteurs, Jacek Dehnel et Piotr Tarcczynski.
Ce qui est pour moi le plus réussi dans ce roman, c’est la reconstitution de l’ambiance de petite ville de province. Les auteurs montrent à la fois la Cracovie bourgeoise et l’aristocratie par laquelle Mme Turbotyńska aspire à être reconnue, et celle des petites gens, essentiellement les domestiques. Les personnages, à commencer par Zofia, son époux Ignacy, la bonne Franciszka ou la soeur Alojza à laquelle Zofia a affaire lors de ses enquêtes dans la maison Helcel, sont très bien décrits, leurs caractères bien plus qu’esquissés, sans caricature aucune.
C’est le gros point fort du roman, son côté très plaisant, plus que l’enquête qui n’en est pas vraiment une. On ne peut pas le reprocher aux auteurs, c’est dans la logique, une dame qui doit rester « à sa place » n’a pas beaucoup de latitude pour interroger ici ou là, voire même pour se déplacer.
J’ai donc trouvé ce roman très sympathique, mais un peu lent et long. Ce n’est que mon avis, Doudoumatous, Eva et Passage à l’est l’ont, elles, particulièrement apprécié, et liront sans doute rapidement le deuxième volume qui sort à la fin du mois.

Madame Mohr a disparu, (Tajemnica domu Helclów, 2015)de Maryla Szymiczkowa, éditions Agullo, août 2022, traduction de Marie Furman-Bouvard, 385 pages.

Première participation au mois de l’Europe de l’Est à retrouver ici.

31 commentaires sur « Maryla Szymiczkowa, Madame Mohr a disparu »

  1. J’attendais de lire ta chronique après avoir lu ton commentaire chez Eva. C’est sûr que ce n’est pas une intrigue palpitante! Sûr aussi que le livre n’aspire pas à être de la grande littérature, mais comme toi j’ai apprécié le côté reconstruction historique, auquel j’ajoute le regard amusé et ironique des auteurs sur leurs personnages. Ta description « enquête au coin du feu » me plaît bien.

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    1. C’est l’aspect historique qui m’a beaucoup plu, avec les personnages et aussi le dépaysement… Avant cette lecture, je n’aurais pas su dire grand chose de Cracovie à la fin du XIXème siècle !

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  2. Ravie de voir que tu as aimé ce roman (malgré un petit bémol). Penses-tu poursuivre la série ?
    Comme toi, j’ai apprécié la toile de fond historique et la galerie de personnages. Il y a beaucoup d’humour aussi, ce qui rend la lecture de ce roman très agréable. L’intrigue policière, c’est vrai, passe au second plan.
    Je note que le second tome paraît à la fin du mois mais je n’aurai pas le temps de le lire pour le mois de l’Europe de l’Est.

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    1. Je ne continuerai pas la série dès ce printemps, mais sans doute un peu plus tard, car je suis curieuse de l’évolution des personnages récurrents et de la vie dans cette ville de Pologne. On sent que les auteurs se sont parfaitement documentés.

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  3. Il est dans ma PAL. J’ai failli opter pour la suite à Masse critique, finalement j’ai choisi Dror Mishani (depuis le temps que j’entends parler de lui).

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  4. J’avais repéré ce roman en librairie récemment. J’aimais bien l’idée d’un cosy mystery polonais. Ton enthousiasme est modéré, mais bon, ça n’en reste pas moins un roman sympathique. Je pense le lire plus tard dans l’année.

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    1. Je serai curieuse de lire ton avis. Nous sommes souvent intriguées par les mêmes romans, mais n’avons pas toujours le même sentiment à leur lecture.

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  5. Je comprends absolument ton point de vue. L’intrigue policière passe au second plan et n’est pas dynamique. Et tous les noms de familles polonais… 😅 En revanche, la reconstitution historique, les dialogues à table, les croyances de l’époque, le regard amusé sur la société, Ignacy, Franziska… – c’est ici que les auteurs excellent. C’est très recherché et pourtant fluide et léger. J’attends la suite !
    Merci beaucoup pour ta participation 🙂

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    1. C’est vrai que pour les personnages secondaires, je m’embrouillais un peu dans les patronymes, ça n’aide pas. Le regard sur la vie à Cracovie et la vie domestique ou de couple est excellent, j’ai bien apprécié cela.

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  6. je le tenterais bien, même si je ne suis en général pas fan du cosy mystery, pour la reconstitution de la société polonaise de l’époque.

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