Russell Banks, Continents à la dérive

Ce livre attendait dans une de mes étagères le bon moment pour sa lecture, et malheureusement, c’est le décès récent de Russell Banks qui m’a fait l’en sortir. J’ai découvert cet auteur il y a bien longtemps maintenant avec De beaux lendemains (paru en 1993, mais je l’ai lu après avoir vu son adaptation par Atom Egoyan en 1997), roman et film qui m’ont marquée, et ensuite, j’ai surtout aimé les recueils de nouvelles Un membre permanent de la famille, L’ange sur le toit et Trailerpark, et le roman American darling. Je pourrais lire deux ou trois romans qui ne me sont pas encore passés entre les mains, mais tout d’abord, qu’en est-il de ma lecture de Continents à la dérive ? Va-t-elle me donner envie de poursuivre ?

« Ce n’est pas une histoire de malchance, Bob le sait, la vie n’est pas une combinaison de forces aussi irrationnelle que ça. Et même s’il n’est pas un génie, ce n’est pas une histoire de stupidité non plus, car il y a trop d’imbéciles qui se débrouillent bien dans le monde. C’est à cause des rêves. Surtout du rêve d’une nouvelle vie, de redémarrer de zéro. »

Continents à la dérive est un des premiers romans de l’auteur, écrit en 1987, et il a l’ambition de montrer les flux migratoires comme une sorte de tectonique des plaques, et de comparer deux cas particuliers, celui de Bob Dubois (prononcer Dou-boyz) quittant avec sa famille le New Hampshire froid et triste pour la Floride, et celui d’une jeune femme, Vanise, avec son bébé et son neveu, tous trois fuyant Haïti, la violence, la pauvreté et l’absence d’avenir.
Bob, qui a un bon boulot de réparateur de chaudières, possède une petite maison, une voiture et même un bateau, se morfond et déprime, trouvant son quotidien trop éloigné de ses rêves de jeunesse. Sa femme Elaine, bien que ne partageant pas cette vision des choses, lui propose de tout laisser pour une nouvelle vie en Floride. Là-bas, le frère de Bob, Eddie, a bien réussi, et va employer Bob, et au soleil, tout ira mieux.

« – Tu vas y arriver en Amérique, ça y a pas de doutes, gamin, et peut-être que comme moi tu y trouveras ce que tu cherchais. Je sais pas quoi. Mais il faudra que tu donnes quelque chose en échange, si ce n’est pas déjà fait. Et quand tu l’auras eu, ce que tu cherches, il se trouvera que c’est pas ce que tu voulais, tout compte fait, parce que ça vaudra toujours moins que ce que tu as donné pour l’avoir. Au pays des hommes libres, il y a rien de gratuit. »

Quant à Vanise et son neveu, ils doivent faire confiance à des passeurs pour espérer atteindre le mirage américain, la Floride où, c’est certain, tout ira mieux pour eux.
On s’en doute, le rêve américain est sérieusement mis à mal par la vision de Russell Banks, qui, essentiellement au travers du personnage de Bob, propose aussi des réflexions sur les choix de vie. Je ne nierai pas avoir ressenti quelques longueurs et un aspect un peu bancal par moment, entre les introspections de Bob et les scènes de vaudou haïtien, mais je pense qu’il faut les attribuer au fait qu’il s’agit d’un des premiers romans de l’auteur.
Toutefois, bien que ce soit un roman plutôt dense et loin d’être concis, j’en ai trouvé la lecture prenante. Aucun des personnages, qui se débattent comme ils peuvent pour atteindre leurs chimères, n’y est vraiment aimable, et pourtant, il est impossible de se désintéresser de leur sort, d’autant qu’une rencontre semble inévitable, mais quelle forme va-t-elle prendre, et avec quelles conséquences pour chacun ?
Ce n’est qu’une des interrogations de ce roman qui entremêle des thèmes captivants.

Continents à la dérive (Continental drift, 1987) éditions Actes Sud, Babel, nouvelle traduction de Pierre Furlan, 2016, 544 pages.

N’hésitez pas à lire l’avis d’Ingannmic !

31 commentaires sur « Russell Banks, Continents à la dérive »

  1. Je veux moi aussi rendre hommage à cet auteur magnifique : j’ai tellement aimé American Darling, Sous le règne de Bones… et ses nouvelles. Ton billet me donne envie de m’y replonger !

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  2. Je te rejoins sur le fait qu’on sent qu’il s’agit là d’un de ses premiers romans. Je l’ai trouvé par moments un peu lourd d’un point de vue stylistique. C’est sinon un auteur que j’affectionne particulièrement, et je te recommande Affliction, si tu souhaites poursuivre avec lui : on y retrouve les thématiques de celui-là (pas sur la migration, mais sur les limites du rêve américain), mais traitées de manière plus intense, avec un personnage intensément touchant (c’est mon préféré de l’auteur.. ).
    Et j’ai encore sur ma pile Pourfendeur de nuages et Sous le règne de Bone..

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    1. Oui, j’ai trouvé aussi certains passages un peu longs et redondants, mais j’ai réussi à m’attacher à des personnages pas très « aimables » et à être impatiente à chaque fois de reprendre mon livre.
      Je note Affliction, merci pour ton conseil !

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  3. J’ai découvert Banks grâce à un swap (ça devrait rappeler des souvenirs aux anciens.ne.s) lors duquel on m’avait offert « American Darling ». J’ai lu ensuite « De Beaux Lendemains » que j’ai beaucoup plus aimé que l’adaptation ciné.
    Je n’ai pas lu « Affliction », mais je te conseille chaudement « Lointain souvenir de la peau » qui est à ce jour mon préféré.

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    1. Ah oui, les swaps ! (je regardais sans y participer) 😉
      Je note aussi Lointain souvenir de la peau… je ne compte pas lire tous les romans notés d’un coup, mais revenir à Russell Banks de temps à autre.

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  4. J’avais commencé De beaux lendemains il y a très longtemps puis mis de côté, je ne sais plus pourquoi, peut-être à cause de la thématique « accident de bus scolaire » au début. Il faudrait que je le reprenne avant de tenter celui-ci ou un autre.

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  5. Un auteur que je n’ai jamais lu et dont je connaissais peu de chose, d’ailleurs. Je vais lire attentivement les conseils qui t’ont été donnés dans les commentaires et aller lire les avis ici et là pour faire mon choix parmi son œuvre.

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