Leïla Slimani, Le pays des autres

« Cette vie sublime, elle aurait voulu l’observer de loin, être invisible. Sa haute taille, sa blancheur, son statut d’étrangère la maintenaient à l’écart du cœur des choses, de ce silence qui fait qu’on se sait chez soi. »

Inspirée par la vie de la vie de ses grands-parents, Leïla Slimani commence avec Le pays des autres une trilogie. Le premier tome va de 1946 à 1956. Dans l’immédiate après-guerre, Mathilde, une jeune Française débarque avec son mari Amine, qu’elle a rencontré en Alsace, alors qu’il combattait pour la France. Elle se rêve en Karen Blixen en arrivant à Meknès puis dans une ferme isolée, elle va aller de déconvenues en déceptions. Une petite fille naît, puis un garçon, et Mathilde reporte sur eux ses espoirs d’une vie meilleure. Les souhaits d’indépendance commencent à envahir le pays, représentés dans le roman par le jeune frère d’Amine.

« La beauté de Selma rendait ses frères nerveux comme des animaux qui sentent venir l’orage. Ils voulaient cogner de manière préventive, l’enfermer avant qu’elle ne commette une bêtise et qu’il ne soit trop tard. »

Des fresques familiales, la littérature n’en manque pas, on a l’impression qu’il s’en publie sans cesse, et pourtant… Pourtant, certains romans familiaux, certaines chroniques imaginaires inspirées de vies passées bien réelles, ont plus de saveur que d’autres. J’ai commencé Le pays des autres sans rien en attendre de particulier, je n’avais lu que Chanson douce et quelques pages d’un journal de confinement, et retrouvais donc Leïla Slimani dans un tout autre registre. La très belle plume de l’autrice m’a embarquée très vite, avec ses notations qui tombent toujours juste, ses descriptions qui vont droit au but et impressionnent aussitôt. Comment ne pas être touchée par des phrases comme « Elle en mourait, de l’indifférence des gens à la beauté des choses. » ?
Les paysages se déploient, les personnages prennent chair entre les lignes : Mathilde, la grande et blonde Alsacienne, plus fragile qu’il n’y paraît, Amine son mari, à la fois assoiffé de modernité et conservateur, Selma la jeune sœur qui veut pleinement vivre sa vie, la petite Aïcha, si douée pour les études, Mouilala, la grand-mère gardienne des traditions… Vous aurez compris que les portraits féminins se détachent, même si les hommes sont vus avec bienveillance également. Avec l’histoire du Maroc en toile de fond, chacun des personnages montre ses forces et ses richesses de cœur, ses travers et ses désillusions.
L’écriture de l’autrice, rare, sans esbroufe, fait plonger dans les années cinquante au Maroc, sans jamais tomber dans les travers du chapelet d’anecdotes ou de la confusion chronologique.

Le pays des autres de Leïla Slimani, éditions Gallimard, mars 2020, 368 pages, existe en poche.

D’autres avis chez Comète, Luocine… Et vous, l’avez-vous lu ?

32 commentaires sur « Leïla Slimani, Le pays des autres »

  1. Pas encore lu, mais je l’ai noté quand le deuxième est sorti, me rendant soudain compte que ça pourrait me plaire. Ton beau billet me le confirme !

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  2. C’est une autrice que j’aime beaucoup écouter en interview, mais mon avis mitigé suite à la lecture de Chanson douce m’a dissuadée de revenir vers ses écrits. Ceci dit, je vois bine que la thématique et la démarche sont ici différentes, alors pourquoi pas ? (à moins que comme Keisha, je ne commence par le Zeniter dont j’avais beaucoup aimé Sombre dimanche..).

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    1. Je te conseillerais plutôt Alice Zeniter, que je tiens pour une autrice vraiment passionnante, avec peut-être plus de cordes à son arc que Leïla Slimani. (parce que c’est toi : à d’autres je conseillerais l’inverse !)

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  3. Je n’étais pas spécialement attirée par ce titre, Chanson douce ne m’ayant que moyennement convaincue. Mais toi, par contre, tu es très convaincante !

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  4. Pas très attirée par Chanson douce, question de thématique, du coup je n’ai jamais lu l’auteure, mais Le pays des autres a tout pour me plaire et ton billet le confirme.

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  5. Je me suis décidée à le lire après une rencontre passionnante avec Leila Slimani venue en librairie au moment de la parution du tome 2… Et j’ai vraiment aimé, refermé avec l’envie de retrouver les personnages (mais j’attends le poche puisque j’ai commencé en poche).

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  6. J’ai lu les deux premiers tomes de ce qui sera une trilogie. J’ai vraiment apprécié cette lecture et autant aimé les deux livres. On y découvre le Maroc, l’opposition entre la tradition patriarcale et l’envie d’émancipation de certaines femmes marocaines. C’est tous sauf caricaturale, binaire. Elle aborde la complexité des rapports homme/femme au Maroc.

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