Philip Roth, L’écrivain des ombres

« Le matin où le journal était apparu aux éventaires, j’avais bien dû lire cinquante fois les paragraphes consacrés à « N. Zuckerman ». Je m’étais efforcé de m’atteler à ma machine pour les six heures de travail que je m’imposais, mais sans résultat ; je reprenais la revue et contemplais ma photo toutes les cinq minutes. Je ne sais pas trop quelles révélations j’attendais de cet article – l’orientation de mon avenir, sans doute, les titres de mes dix premiers livres – mais je me souviens que cette photographie d’un jeune écrivain pénétré et sérieux jouant si doucement avec un petit chat et vivant, était-il précisé, dans un vieil immeuble sans ascenseur de quatre étages au Village avec une jeune ballerine, risquait d’inspirer à un certain nombre de femmes grisantes l’envie de prendre la place de celle-ci. »

Je trouve cet extrait tellement parlant que je me demande pourquoi vous en dire plus. Il s’agit d’un jeune auteur, Nathan Zuckerman, commençant tout juste à être connu, qui est convié à rendre visite au maître E.I. Lonoff, auteur prestigieux vivant reclus avec son épouse dans les collines du Massachusetts. Amy Bellette, une jeune élève de l’écrivain qui, à ce moment-là, est aussi son archiviste et sa secrétaire, se trouve présente aussi. L’histoire se déroule sur une soirée et une nuit, riches en affrontements entre les protagonistes, dont certains que Nathan épie d’une manière tout à fait éhontée. Le jeune auteur y découvre bien des aspects de son hôte ainsi que de son épouse et de la jeune archiviste, ce qui donne lieu à une histoire dans l’histoire, et il réfléchit également sur ses propres tourments, sa relation avec son père en particulier.
Je connais peu le Philip Roth des premiers romans, et je rencontre même pour la première fois Nathan Zuckerman, jeune écrivain et double de l’auteur. J’ai mis un petit temps pour m’adapter aux longues phrases, et j’imagine très bien qu’à l’époque déjà, Philip Roth ne se souciait pas d’accorder au lecteur des facilités à entrer dans le texte. Une fois bien installé dedans, c’est un roman qui surprend autant qu’il se savoure : des phrases longues, oui, mais pas un mot de trop !
Les lecteurs sont très certainement plus à même d’apprécier L’écrivain des ombres en connaissant déjà l’auteur, puisque s’y trouvent des thèmes qu’il reprendra et développera ensuite comme l’imposture, la sexualité ou la judéité, et déjà une forme de dérision très réjouissante. Une forte personnalité est présente dans le ton comme dans la forme, et c’est encore et toujours un grand plaisir de lecture que je compte bien poursuivre avec Zuckerman enchaîné.

L’écrivain des ombres de Philip Roth, (The ghost writer, 1979), éditions Gallimard, 1981, traduction de Henri Robillot, 185 pages.

Un autre avis chez Yueyin.

29 commentaires sur « Philip Roth, L’écrivain des ombres »

  1. Je l’ai acheté ce livre, il y a quelque temps … et je n’ai pas osé le lire. Je sais c’est bizarre… Roth m’impressionne mais je l’ai déjà lu. Donc ce n’est pas ça …

    J’aime

  2. De cet auteur j’avais lu Portnoy et son complexe il y a moult temps et j’en garde un très bon souvenir mais je ne suis pas revenue à lui depuis (PAL, LAL, autres tentations…). Ton billet me donne bien envie de replonger dans son univers.

    Aimé par 1 personne

    1. Encore un que je n’ai pas lu, Portnoy… je sais ce que c’est, les tentations sont nombreuses, surtout quand nous aimons les littératures de tous pays et continents !

      J’aime

  3. j’ai acheté récemment un de ses livres d’occasion (en anglais) du coup le titre m’échappe – je ne l’ai jamais lu. Concernant ce roman, il n’a pas fait l’objet d’une adaptation ciné ? car je sais qu’il y en a un avec Ewan McGregor (rôle d’un « nègre » d’un écrivain célèbre qui vivait isolé) ou je confonds ! je ne l’ai jamais lu mais je vais commencer avec celui que j’ai acheté dont le sujet me plaisait

    J’aime

    1. Figure-toi que pendant un bon quart du roman, je me suis aussi demandé si ce film (dont je me souvenais assez bien) était une adaptation… mais je trouvais que ça ne collait pas, à part éventuellement les personnages, et j’ai donc vérifié : non, rien à voir ! (c’est adapté de L’homme de l’ombre de Robert Harris)

      J’aime

  4. J’aime beaucoup cet auteur, mais j’ai lu seulement des livres des années 1990-2000 (sauf « Portnoy »). Je lirai celui-là, c’est sûr, j’aime beaucoup Nathan Z..

    J’aime

    1. 1990-2000 ? Donc plutôt Pastorale américaine et les suivants ? J’en ai encore à lire parmi ceux-là, ou à relire. Et je vais continuer avec Nathan Z.

      J’aime

  5. Il me reste beaucoup à découvrir chez Philip Roth… je n’avais pas noté ce titre dans son immense bibliographie mais pourquoi pas ? J’ai lu des écrits plus tardif pour le moment, des années 2000 (et j’adore).

    J’aime

  6. Je n’ai lu que deux textes de Roth, Goodbye Colombus, pas aimé, et THe plot against America, adoré… il faudrait que je le relise. mais je ne sais pas si ses romans avec Zuckerman sauraient me captiver…

    J’aime

Et vous, qu'en pensez-vous ?