Joe Wilkins, Ces montagnes à jamais

« Il essaya de laisser tomber, mais le monde brûlait désormais aux limites de son champ de vision. Cette bonne vieille honte, cette peur et cette rage d’être examiné, jugé, trouvé inadéquat. »
Le jeune Wendell Newman s’est accoutumé à vivre seul sur les terres familiales dans les Bull Mountains, région défavorisée du Montana, depuis la mort de sa mère, lorsque les services sociaux lui confient la garde de son petit cousin Rowdy, sept ans, traumatisé par des soins maternels insuffisants, et l’incarcération de sa mère. Wendell accepte cette charge d’âme qui lui complique singulièrement la vie.
Gillian, veuve et mère d’une adolescente et adjointe du regroupement scolaire, met quant à elle toute son énergie à mettre le plus possible d’enfants et de jeunes sur les rails d’une vie meilleure que celle de leurs parents. Il faut dire que pauvreté et vide culturel sont le lot de la plupart des familles de cette région rurale du Montana.
Les actions de ces deux personnages alternent avec des pages d’un journal intime dont on comprend qu’il est celui du père de Wendell, disparu des années auparavant, alors qu’il était en opposition avec l’administration à propos de la présence de loups sur ses terres d’élevage. Ce sujet refait surface précisément en 2008, lorsque Wendell accepte la garde son petit cousin.

« Il savait qu’il aurait dû être content, mais il était gêné. Tout ceci lui évoquait Macbeth. La façon dont les choses pouvaient dégénérer. On ne peut pas se balader en pleine nuit et faire ce qu’on veut. »
Le ton est tout de suite donné, et le lecteur reconnaît immédiatement les prémices d’un roman noir. Mais la subtilité de Joe Wilkins consiste à rester le plus possible sur la crête, entre deux précipices où les personnages peuvent tomber ou d’où ils peuvent s’extirper. S’agit-il dans ce roman de déterminisme, de la propension à reproduire des situations néfastes de père en fils ? Ou au contraire de rédemption et de victoire contre les forces qui poussent dans le mauvais sens ? Ou encore de l’apport inexprimable de la part de personnes extérieures et bienveillantes ? La suite et la fin le diront, bien sûr.
Le thème de l’héritage est prégnant, et rend le roman passionnant. Les évocations de la nature sauvage, les différents fils tissés avec humanité, la succession des points de vue menée de manière magistrale, tout cela m’a enthousiasmée et fait adorer ce roman de bout en bout. Je le vois comme un croisement entre Un livre de martyrs américains de Joyce Carol Oates et Le bon frère de Chris Offutt… des références qui ne sont pas les pires !

Ces montagnes à jamais, de Joe Wilkins (Fall back down when I die, 2019), éditions Gallmeister, 2020, traduction de Laura Derajinski, 310 pages.

Un livre qui patientait depuis trop longtemps dans ma PAL ! (retrouvez l’Objectif PAL chez Antigone)

26 commentaires sur « Joe Wilkins, Ces montagnes à jamais »

      1. « Enthousiasme », c’est vraiment le bon mot pour ce roman! Et je vous qu’on est vraiment sur la même longueur d’ondes… J’ai terminé un roman très, très attendu mais qui s’est révélé une petite déception et suis en train de lire un roman de la RL qui fait fureur mais qui ne m’enthousiasme pas non plus (j’aime bien mais sans plus).

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  1. Que je l’ai aimé ce livre ! En lisant ton billet, je me dis qu’il est resté bien imprimé dans ma tête. J’espère qu’il y aura d’autres romans traduits de cet auteur.

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