Colin Niel, Entre fauves

« Le gouvernement espérait que sa décision d’autoriser la chasse du lion problématique ne s’ébruite pas trop, disait-on. Pour ne pas ternir l’image de la Namibie, parce que nous avions besoin des touristes et de l’argent des autres pays pour développer le nôtre. »
Martin, garde pour le parc national des Pyrénées, est un farouche opposant à la chasse, qui traque sur internet ceux qu’il considère comme des tueurs. Lorsqu’il y trouve la photo d’une jeune chasseuse blonde devant la dépouille d’un lion, il entreprend, avec d’autres activistes, de découvrir qui elle est. Le profil sur les réseaux sociaux n’apporte que peu de renseignements, mais Martin est acharné. Par ailleurs, il s’inquiète pour le dernier ours restant dans les Pyrénées, dont aucune trace n’a été vue depuis des mois.
Le roman passe des paysages des Pyrénées à ceux de la Namibie, avec de très belles descriptions, et aussi d’un personnage à un autre : Martin, Apolline, Kondjima et Charles. Je laisse aux futurs lecteurs et lectrices découvrir qui est ce dernier.

« Franchement, moi, j’ai honte de faire partie de l’espèce humaine. Ce que j’aurais voulu, c’est être un oiseau de proie, les ailes démesurées, voler au-dessus de ce monde avec l’indifférence des puissants. Un poisson des abysses, quelque chose de monstrueux, inconnu des plus profonds chaluts. Un insecte, à peine visible. Tout sauf homo sapiens. Tout sauf ce primate au cerveau hypertrophié dont l’évolution aurait mieux fait de se passer. »
Tout comme j’ai été enthousiaste il y a quelques années à la lecture de Seules les bêtes, j’ai admiré cette fois aussi la construction millimétrée et les personnages particulièrement bien incarnés. De quoi être complètement accrochée dès les premières pages, et jusqu’à la toute fin ! De plus, c’est fait très subtilement, puisque ceux des protagonistes qui seraient d’emblée les plus sympathiques peuvent s’avérer assez imbuvables, comme le très dogmatique garde du parc. Quant aux chasseurs de trophée, grands bourgeois à la recherche de sensations, qui de prime abord donnent plutôt envie de vomir, ils peuvent avoir, mais oui, des moments de sincérité et d’empathie. Kondjima, un jeune Himba, représente le point de vue des pasteurs qui peinent à maintenir leur troupeau hors de portée des lions privés de nourriture par la sécheresse, et qui voient dans les troupeaux de chèvres des proies à leur portée.
Le tout est donc très nuancé, et surtout, l’agencement des différents points de vue fait avancer l’action, et apporte une grande tension. Les narrations parallèles entre la traque du lion et la poursuite de la donzelle chasseresse culminent avec des apogées saisissants.
Derrière cette couverture très réussie se cache un roman noir de la meilleure espèce !

Entre fauves de Colin Niel, éditions du Rouergue, septembre 2020, 343 pages.

36 commentaires sur « Colin Niel, Entre fauves »

  1. j’ai failli lire en diagonal ton billet , car je suis très agacée par les défenseurs de la faune sauvage en Afrique, quand ils sont Européens ou Américains nous qui avons depuis des siècles pour nous et au moins trois siècles pour les américains.

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  2. Complètement d’accord. J’avais aussi beaucoup aimé Seules les bêtes pour sa mécanique et son exploration sociale, et là je trouve qu’il se renouvelle superbement bien tout en offrant une intrigue captivante.

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  3. je tenterais bien l’expérience mais je sens que je vais avoir des décharges d’adrénaline en cascades vu mon « amour inconditionnel » pour ces tarés de chasseurs 🙂
    je suis totalement en phase avec la citation « … J’ai honte de faire partie de l’espère humaine… »

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  4. Tu as le don de susciter l’envie ! Comme toi j’ai beaucoup aimé Seuls les bêtes. C’est drôle d’ailleurs le point commun entre les deux titres (le lien via les réseaux sociaux entre la France et l’Afrique)..

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