Marie-Hélène Lafon, Histoire du fils

Rentrée littéraire 2020 (12)
« André avait toujours eu deux mots pour ses mères. C’était un peu difficile à expliquer. Il disait maman pour Hélène, sa tante, qui l’avait élevé à Figeac, et ma mère pour Gabrielle, sa mère, qui habitait Paris ; il ne l’avait côtoyée que quatre semaines par an pendant les dix-sept premières années de sa vie, et moins encore depuis qu’il ne vivait plus dans sa maison d’enfance. »
Voilà un extrait qui, en peu de mots, dit tout ou presque. On comprend aisément qu’André n’a pas été élevé par sa mère, célibataire, mais par sa tante et son oncle, et vécu au milieu de ses cousines, et que donc, il n’entretient que peu de rapports avec Gabrielle qui vit à Paris. Le roman commence ailleurs, à Chanterelle, un petit village du Cantal, des années auparavant, avec une scène que je ne raconterai pas, et qui sera évoquée plusieurs fois par la suite, comme une légende familiale triste, qui n’est pas cachée, mais qui provoque trop de chagrin pour en parler.
Le roman chemine depuis bien avant la naissance d’André jusqu’à la fin de sa vie, de Chanterelle à Figeac ou à Paris. La société provinciale change, la vie rurale n’est plus ce qu’elle était, les distances ne sont plus ressenties de la même façon. Les relations familiales évoluent, se déplacent, mais restent fortes. Et l’absence de père se fait plus ou moins sentir.

« Il voudrait ne pas ruminer, ne plus ruminer ; encore un mot de Léon pour les pensées qui ne vous lâchent pas, creusent un trou dans le ventre et serrent la poitrine. »
Curieux roman finalement que cette histoire du fils, qui a tout de la saga familiale, sur plusieurs générations et avec secret de famille à l’intérieur. Et pourtant, rien ne ressemble vraiment à des précédentes lectures de ce genre. Tout d’abord, si l’action se déroule sur une centaine d’années, et avec un bon nombre de personnages, le roman tient pourtant sur 171 pages, aussi denses que sobres. Ensuite, la chronologie va de l’avant, puis revient en arrière pour mieux sauter quelques années. L’ellipse y est cultivée comme un art ! Troisième point, le personnage central, André, né de père inconnu, élevé par sa tante, s’en sort plutôt bien dans la vie, et ce dès ses jeunes années, où il illumine le foyer qui l’a accueilli. Pas d’accumulations de drames, même s’il en est un, fondateur, dans la vie du père d’André.
Outre le thème de la recherche de racines, et la description des caractères et des liens familiaux, c’est la langue qui frappe, avec ses mots élégamment choisis, son ton toujours juste.
Un roman qui m’a tenue en haleine, sans chercher à trop en faire, et que j’ai trouvé plein, intense, et très réussi.

L’histoire du fils de Marie-Hélène Lafon, éditions Buchet-Chastel, août 2020, 171 pages. Prix Renaudot 2020.

51 commentaires sur « Marie-Hélène Lafon, Histoire du fils »

    1. Je l’ai trouvé à la bibliothèque, c’était l’occasion… Du coup, j’en lirai bien d’autres de l’auteure, je n’ai lu que « L’annonce » précédemment.

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    1. Le fait qu’il soit emprunté est un effet « prix littéraire » sans doute, mais tant mieux s’il contribue à faire lire aussi les autres romans de l’auteure… Tu en as un à en particulier à recommander ?

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  1. beaucoup aimé son écriture, un peu perdue au départ, mais très vite on rentre dans le rythme, et sa façon de dire les choses, les sentiments, est superbe

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  2. Je l’ai beaucoup aimé… C’était ma 1ere incursion dans l’univers de Marie-Hélène Lafon j’ai adoré l’écriture presque chirurgicale , la concision et en même temps la densité en si peu (trop peu) de pages.
    « Joseph » m’attend 🙂

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  3. Je ne sais pas pourquoi, et j’ai sans doute tort, mais cette écrivaine ne m’attire pas du tout. Je dirais même que lorsque je l’entends, elle me rebute complètement. Très curieux… et pas du tout rationnel.

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  4. C’est bizarre, j’aime beaucoup la plume de cette autrice, mais je trouve que ses histoires n’ont pas grand intérêt. Donc je lis les billets avec intérêt, mais ne suis pas vraiment tentée…

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  5. Je ne suis pas particulièrement lectrice de saga familiale mais ce que tu dis de ce roman est intéressant, son format court, le ton. Je n’ai encore jamais lue l’auteure, bien que j’avais noté certains titres.

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  6. Comme toi, L’Annonce est le seul roman de M-H Lafon que j’ai lu à ce jour.
    J’avais bien aimé et pourtant, je n’y suis jamais revenu. Peut-être l’autrice et son univers sont-ils un chouïa trop austères pour me séduire pleinement.
    En tout cas, ce que tu dis de ce dernier opus est particulièrement tenant.

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  7. la sobriété est une qualité que j’apprécie de plus en plus en littérature, et je n’ai jamais lu Lafon, donc je me tenterai bien celui_ci, au vu de ton billet.

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  8. J’aime la prose de cette romancière qui sait faire court sans avec des mots choisis. J’ai eu la chance il y a quelques années, j’ai eu la chance de partager un long apéro avec elle, chez mon oncle dans le cantal. j’ai apprécié chacun de ses romans que j’ai lu, donc celui là passera entre mes mains !

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  9. Pour l’anecdote, il m’aura fallu attendre cette rentrée littéraire pour que quelqu’un me fasse remarquer que Lola Lafon et Marie-Hélène Lafon sont deux autrices différentes…
    Cela dit, les deux m’intéressent, chacune dans son genre.
    Je ne m’attendais pas en lisant le début de ton billet à ce que ce livre soit si court en revanche. Et j’ai l’impression que les adeptes de l’auteur ne considèrent pas que c’est son meilleur.

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    1. Je ne sais pas trop quoi te dire : ce que j’ai cru comprendre de ceux qui la connaissent bien, que ce n’est pas forcément son meilleur, mais que c’est le plus accessible, pour ceux qui ne la connaissent pas encore.

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  10. Je n’ai pas encore lu celui-ci mais ton ressenti se rapproche des souvenirs de lecture que j’ai des ouvrages de l’autrice. Le dernier en date est « Joseph ».

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  11. Bonjour Kathel, j’ai lu ce roman très vite: vraiment très bien. Le style est magnifique. Et quel plaisir d’écouter Mme Lafon, j’ai eu l’occasion de l’écouter à la radio. Une femme qui a du vocabulaire et sait s’exprimer, cela fait du bien. Bon dimanche.

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