Joseph O’Connor, Le bal des ombres

« La pièce en était au troisième acte lorsqu’il entra. Dehors rugissait l’orage. Trempé, frigorifié, il ne put trouver sa place dans le noir, aussi resta-t-il debout dans l’allée, près du premier rang. Les éclairs étincelaient à travers les hautes fenêtres du théâtre – qui, comme beaucoup de salles anciennes, avait jadis été une église. Le public foudroyé était bouche bée.
Henry Irving s’arrêta au milieu d’une scène et les toisa d’un air lugubre, les yeux rouges dans la lumière des becs de gaz. »
Fiction autour des vies de l’auteur de Dracula mésestimé de son vivant, l’Irlandais Bram Stoker, ainsi que des acteurs de théâtre Henry Irving et Ellen Terry, ce roman propose une plongée dans une époque fascinante, l’Angleterre dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle.
J’ai trouvé le roman formidable dès les premières pages, craignant toutefois que l’enchantement cesse. En effet, jusqu’alors, je n’avais pas trop aimé Joseph O’Connor dans ses romans historiques : léger ennui avec L’étoile des mers et vraie déception avec Muse, alors que j’avais adoré ses romans à l’atmosphère plus contemporaine.
Rien de tel cette fois, l’immersion dans les coulisses d’un théâtre londonien est totale, c’est une parenthèse merveilleuse. Le très sérieux Bram Stoker y était régisseur, bras droit du « Chef » Irving, personnage des plus fantasques. L’actrice Ellen Terry a fréquenté souvent les planches du Lyceum. Entre les trois figures du roman s’est jouée une grande histoire d’amitié, très certainement, d’amour, peut-être, qui a été, comme le suggère Joseph O’Connor, un des moteurs de la création de Dracula.

« Il est important de se maintenir à flot, les yeux braqués sur l’horizon, toujours. Le passé est un fou qui se noie ; lancez-lui une corde, il vous entraînera avec lui. »
Je ne saurais énumérer tout ce qui m’a plu dans le roman, les passages émouvants avec Mina, vous verrez qui elle est, drôles avec Oscar Wilde, légers avec Ellen Terry, torturés avec Bram Stoker, amers avec Florence, son épouse… La multiplicité des thèmes, des points de vue, des supports de récit est quelque chose que je n’aime pas toujours dans un roman, l’artificialité y pointe parfois son nez, mais pas ici !
J’ai lu que la dernière partie avait parfois été jugée trop longue, mais pour moi, il est indispensable de retrouver deux des personnages dans leur vieillesse et certaine scène de la salle des ventes n’aurait pu être négligée. Bref, tout m’a plu, de la forme au fond, et surtout la forme d’ailleurs, ce qui est la marque d’un texte qui va rester. Je repars avec des images formidables, nées de l’imagination de Bram Stoker lorsqu’il se rend dans les combles du théâtre pour s’y isoler et écrire, comme lorsqu’il surplombe la ville et imagine Londres vidée de ses habitants par une épidémie, ou qu’il tremble en imaginant derrière chaque quidam Jack l’Eventreur. Outre ce personnage de sinistre réputation, on croise dans le roman, parmi d’autres, Oscar Wilde ou Walt Whitman, et les rencontres sonnent toujours tellement juste qu’on est là, parmi eux, sur les planches du Lyceum, dans un train ou une taverne. On assiste également à des événements de la fin d’un siècle au début d’un autre, des prémices de l’impression de photographies aux manifestations des Suffragettes.
Je crains de ne pas réussir à vous montrer à quel point ce roman est splendide et foisonnant, faisant passer en quelques lignes du sourire aux yeux embués… Quelle fantastique re-création, elle m’a procuré une semaine de lecture en apesanteur !

Vous pouvez voir Ellen Terry photographiée par Julia Margaret Cameron dans ce billet sur la photographe. (C’est la jeune femme en robe blanche et les yeux clos). Des photos de Bram Stoker ou Henry Irving se trouvent aussi facilement sur la toile…

Je partage les avis de LadyDoubleH, Nicole et Eimelle.

Le bal des ombres de Joseph O’Connor (Shadowplay, 2019) éditions Rivages, janvier 2020, traduction de Carine Chichereau, 462 pages.

Livre sorti de ma PAL ancienne (plus de six mois) : retrouvez l’Objectif PAL chez Antigone.

57 commentaires sur « Joseph O’Connor, Le bal des ombres »

  1. C’est d accord Kathel je le Mets dans ma liste des indispensables. Je veux partager toutes tes émotions. Ce n’est pas si facile de faire revivre des,auteurs : je viens de finir une biographie qui veut faire revivre Virginia Woolf et qui m’a terriblement ennuyée

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    1. Tu as raison, ça ne marche pas toujours aussi bien, là c’est l’univers du théâtre qui relie les personnages et qui est formidable à revivre par roman interposé (et c’est très bien fait !)

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  2. J’ai des étoiles plein les yeux ! De Joseph O’Connor j’avais adoré Inishowen, il est temps que je le relise. C’st drôle parce parce que je suis en train de lire le roman de Margaret Atwood, Graine de sorcières, qui parle de théâtre (Shakespeare – mais pas avec de vraies personnalités comme ici) et j’adore !

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    1. Inishowen est mon préféré également, je trouvais jusqu’ici Joseph O’Connor moins prenant dans ses romans historiques… jusqu’ici, seulement !
      Et j’ajoute que je vais m’intéresser du coup à ce roman de Margaret Atwood !

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  3. Je crois qu’on perçoit bien ton enthousiasme 😉 Ce livre-là est dans ma liseuse depuis pas mal de temps, j’ai lu les premières pages cet été et puis… ben je ne sais pas, j’ai dû faire autre chose… je l’ai en tout cas et repenserai à ce billet quand je ferai défiler les titres la prochaine fois.

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  4. Je me méfie beaucoup du côté ennuyeux que je suppose à cet auteur, mais avec ton billet, je vais faire plus attention à ce titre-là. A emprunter à la bibli.

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  5. Comme si ta critique ne suffisait pas à me donner envie de lire ce livre, la beauté de la couverture m’a achevée ! J’ai, pour ma part, beaucoup aimé L’Étoiles des mers dont j’admire beaucoup l’exécution, je ne peux donc que mettre Le Bal des ombres sur ma wishlist ! Merci 😀

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  6. Je n’ai lu que ton propos introductif et cela a suffit à me donner très envie de lire ce roman. Je n’avais pourtant pas accroché à Inishowen (et je gardais un souvenir très mitigé de ses nouvelles en relisant mon avis, il semble que j’avais plutôt aimé en fait :D). Bref, c’est vendu ! Dommage que je ne fréquente plus la médiathèque.

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  7. Joseph O’Connor est un auteur que je lis régulièrement et contrairement à toi, j’ai beaucoup apprécié L’étoiles des mers, et Muse, et aussi A l’irlandaise, un de ses premiers titres.
    Pour ce titre, j’avoue que j’ai peiné au départ, le personnage de Bram Stocker m’échappait. Par contre, l’atmosphère du Lyceum est géniale à découvrir et moi aussi je suis allée voir les photos d’ Ellen Terry qui sont splendides.

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    1. Comme quoi il y autant de lecteurs que d’avis sur Joseph O’Connor ! Muse m’a profondément ennuyée, je n’ai pas réussi à m’intéresser aux personnages, alors que là, ils m’ont emballée immédiatement.

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  8. Rien que la couverture m’avait donné envie ! Elle est juste magnifique. Et à te lire, je pense que ça pourrait vraiment me plaire. Un jour, un jour…:)

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