« – Le temps des rêves est fini, murmura-t-il, maintenant c’est le temps des hyènes. »
Nous sommes à la fin du XIXe siècle, dans la colonie italienne d’Érythrée, tout juste pacifiée. Pour ceux qui ont déjà lu Albergo Italia, nous retrouvons le capitaine des carabiniers Colaprico et son adjoint nommé Ogbà, ou parfois « le Scherlock Holmes abyssin », personnages du premier roman. Je ne les avais pas encore rencontrés, mais cela n’a aucunement gêné ma lecture.
Un indigène, puis deux autres sont retrouvés pendus dans les branches d’un sycomore, aux abords d’un petit village des hauts plateaux et, si ces suicides étonnent, ils ne déterminent aucune enquête. Mais lorsque le Marquis Sperandio, gros propriétaire terrien, est retrouvé pendu au même endroit, Colaprico est sommé de quitter au plus vite Asmara pour mener l’enquête. Enfin, à la vitesse de deux mules rétives… Si la lenteur est constitutive de cette enquête, cela n’empêche pas l’action de s’emballer par moments, en des scènes plus tendues, et périlleuses pour les enquêteurs. Le duo formé par Colaprico et son adjoint Ogbà, ainsi que la confrontation de leurs points de vue et de leurs méthodes font tout le sel de ce roman, un peu à la manière (beaucoup plus contemporaine) de Carl Mørck et Assad dans les enquêtes danoises du Département V.
» – Kem fulut neghèr zeybahriawi yelèn, dit Ogbà, si distrait par sa bière qu’il ne s’est pas aperçu qu’il parlait en tigrigna.
– Tôt ou tard, je devrai l’apprendre moi aussi, cette langue. Qu’est ce que tu as dit ?
– Excusez-moi, mon capitaine. J’ai dit il n’y a rien de plus trompeur que l’évidence.
Colaprico en resta bouche bée.
– There is nothing so unnatural as the commonplace, murmure-t-il, et cette fois c’est Ogbà qui ne comprend pas. Putain, Ogbà, putain… tu l’as encore fait ! Tu as cité Sherlock Holmes ! »
Les événements amènent le Capitaine des carabiniers et Ogba à rencontrer des personnages haut en couleurs, qu’ils soient érythréens, de diverses ethnies, ou italiens, de toutes les régions, l’Italie étant encore à cette période de l’histoire, une entité bien jeune et fragile. Trop fragile sans doute pour pouvoir de surcroit gérer des colonies.
Le roman est imprégné de l’espèce de fascination qu’exercent ces régions d’Afrique de l’Est sur les Européens, symbolisée pour nous par Arthur Rimbaud, d’ailleurs mentionné à une ou deux reprises. La passion de l’auteur pour cette région d’Afrique est sensible dans les descriptions de paysages, de ciels d’orages, et de terres poussiéreuses, mais surtout dans les dialogues qui mêlent traduction française, italien et tigrigna, la langue locale.
Le dépaysement total et la fraîcheur des personnages en font une lecture tout à fait réjouissante. C’est exactement le genre de roman policier que j’affectionne, il ne me restera qu’à découvrir le précédent.
Le temps des hyènes de Carlo Lucarelli, (Il tempo delle iene, 2015) éditions Métailié, février 2018, traduit de l’italien par Serge Quadruppani, 191 pages.
Super, ta chronique ! Tu me rappelles que j’ai trouvé Albergo Italia d’occasion l’année dernière (la couverture du grand format de Métailié est magnifique), et que j’ai trop envie de le lire !!!
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Les couvertures sont très belles, en effet, c’est une tentation supplémentaire pour continuer la série !
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Ha oui, et j’en ai lu un autre aussi. Dépaysant, instructif
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Tout à fait ! ^-^ Merci pour la découverte !
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Ca me donnerait presque envie de me plonger dans ce policier !
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Presque seulement ? 😉
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Oui parce que je ne lis quasiment jamais de policier… 😉
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Évidemment, je suis très tentée :-). Je me souviens de l’auteur aux Quais du Polar, un petit échange sympathique en présence de sa traductrice. J’étais répartie avec La huitième vibration, très noir mais édifiant, sur la conquête coloniale ( un des rares romans sur le sujet avant celui de Francesca Melandri )
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Je me souviens, tu avais du m’en parler… et j’ai lu ton billet sur le roman, bien sûr.
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Oui cela doit être dépaysant en effet. Je dois dire aussi que la couverture est chouette. Je rejoins Hélène, c’est une belle chronique ! 🙂
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Merci, Frédéric. C’est bien quand on se laisse tenter par une couverture, et que le contenu est à la hauteur (et c’est le cas ici)
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Pourquoi pas, pour le dépaysement temporel et local quand je serai dans une période « envie de polar ». J’aime beaucoup les jeux de couleur sur la couverture.
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Là, c’est sûr, on est vraiment ailleurs, et le travail sur la langue (les langues) y contribue aussi.
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Encore un nom à noter ! on pourrait se contenter de ne lire que des polars toute l’année avec tout ce qui existe ..
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Ce serait tout à fait possible, et même très diversifié… (quand je vois tous ceux que j’ai noté et pas encore essayés !)
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Tiens, cela me donne une chouette idée, l’offrir à mon mari
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C’est toi qui sais si ça lui plaira ! 😉
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Oh tu donnes carrément envie ! je note et même, pourquoi pas, commencer par le premier…
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Tu as raison de faire le chemin dans le bon sens.
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Celui-là m’intéresse bien. Je le note
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Il est très dépaysant, et bien écrit.
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Télécharge !
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Une enquête qui m’avait passionnée, de mémoire.
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Et qui ne ressemble en rien à celles qu’on peut lire dans d’autres polars…
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Je l’avais acheté à sa sortie, sans savoir qu’il était précédé d’un autre titre, et je n’ai toujours fait ma séance de « rattrapage » avec Albergo Italia, qui ne veut pas sortir en poche… mais je vois que tu t’es lancée sans ça.. et surtout que j’ai bien fait de l’ajouter à mes étagères !
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Mais oui, tu as bien fait, et si tu peux commencer par Albergo Italia, ce sera encore mieux. ^-^
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On a choisi les mêmes paragraphes de citation! Bel article memecressenti.
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Merci Miriam, je suis contente d’avoir lu ce roman et de savoir qu’il en existe au moins un autre dans la même veine !
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Je ne lis pas beaucoup de policiers mais celui-ci pourrait me plaire, je pense
Daphné
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Pour le côté historique, sans doute ?
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