Alexandra Koszelyk, À crier dans les ruines

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« Souvent la dernière attention, un dernier geste ou regard n’est pas pris au sérieux. On ne sait jamais quand celui-ci arrive, personne n’y prend garde, l’instant glisse sur nous et s’échappe. Mais quand le dernier instant se fige, quand on sait qu’il portera le nom de dernier, alors l’instant revient et perfore l’inconscient. Si j’avais su… »

Léna et Ivan, ou une enfance et un début d’adolescence insouciants dans les années 80 en Ukraine. Le père de Léna travaille à la centrale de Tchernobyl, et dès le 26 avril 1986, il comprend tout de suite que le pire est arrivé, et il précipite le départ prévu vers l’étranger, la France, sans aucun bagage. Dès leur installation, ses parents enjoignent Léna d’oublier son pays, lui affirment qu’elle n’y retournera jamais. Pour Léna, sa seule consolation est sa grand-mère, dans ce déracinement douloureux, celle qui lui rappelle sa culture, ses légendes ukrainiennes. Sans nouvelles de son ami Ivan, elle finit par accepter ce qu’affirment ses parents, qu’il compte au nombre des victimes.
Pourtant, vingt ans plus tard, lorsqu’elle a l’occasion de revenir enfin en Ukraine, elle ne peut s’empêcher de retourner dans son village…

« Les embruns, le cri des mouettes et l’air iodé auraient pu surprendre Léna, son esprit s’ancra au contraire sur ces murets de granit qui portaient les stigmates d’un monde disparu. Leur rondeur et leur rugosité formaient des histoires que la Slave se plut à imaginer. Au loin, des hortensias roses achevaient la palette des couleurs. »
Je me suis laissé tenter par la couverture, le résumé et les premiers avis sur le roman d’Alexandra, que de plus je connais par blogs interposés depuis longtemps. Mais je dois prévenir tout de suite que je ne suis pas précisément la lectrice idéale pour un jeune roman français à l’écriture poétique, qui fait appel à la sensibilité des lecteurs, sur le thème des amours de jeunesse.
Par contre, j’ai lu un certain nombre de romans évoquant l’exil, thème que j’aime à retrouver assez souvent, et les répercussions de l’accident de Tchernobyl sur la population est un sujet fort qui me parle également.
J’ai beaucoup apprécié le début du roman, la description de l’amitié naissante entre les deux jeunes gens, l’accident nucléaire, le départ : sublimés par l’écriture de l’auteure, qui trouve toujours des images qui parlent à la sensibilité, sans platitudes aucune, tout en retenue et en humanité.
Ensuite, mais ce n’est que mon ressenti, à son arrivée en France, j’ai trouvé Léna plus diaphane, une fille de papier, qui ne se ranime, me semble-t-il, que dans les ruines d’Herculanum. J’ai aimé cette évocation du voyage en Campanie, et le choc des ruines, qui sera suivi d’autres voyages, plus près de ses racines. À partir de là, le roman va crescendo jusqu’à la fin, très belle…
Ce qui m’a beaucoup plu dans le texte, c’est qu’on sent la grande lectrice derrière les mots, et qu’Alexandra a écrit un livre correspondant totalement à ce qu’elle-même aimerait lire. Ce roman a suscité de nombreux coups de cœur de libraires et de lecteurs. Si je ne les partage pas totalement, je souhaite à ce roman tendre et juste, un très joli parcours !
Je le conseille à ceux qui ont aimé Le bleu des abeilles de Laura Alcoba, pour la vision de l’exil et l’appropriation d’un pays par sa culture, ou Tout ce qui est solide se dissout dans l’air de Darragh McKeon pour l’accident de Tchernobyl et ses conséquences humaines.

À crier dans les ruines d’Alexandra Koszelyk, éditions Les forges de Vulcain, 2019, 254 pages, finaliste du prix Stanislas, et sélection Jeunes Talents 2019 des librairies Cultura.

Les avis d’Antigone et Nicole.

35 commentaires sur « Alexandra Koszelyk, À crier dans les ruines »

  1. C’est toujours difficile de parler du roman de quelqu’un qu’on connaît et qu’on apprécie. Je reconnais beaucoup de qualités à ce livre plein de sensibilité, et mêler les mythes, omniprésents dans ce texte, au thème de l’exil me semble une très belle idée, ce qui ne surprend pas venant d’Alexandra.
    Il y a parfois de très jolies formules. Mais, m’a-t-il semblé, parfois aussi quelques maladresses, qui auraient pu être corrigées, revues… Je pense en fait qu’il y a beaucoup de bonnes choses, mais que le texte aurait gagné à être retravaillé avec l’éditeur pour être vraiment pleinement abouti, sur le fond comme sur la forme. Ce n’est que mon appréciation, qui vaut ce qu’elle vaut, et je suis ravie pour Alexandra de la voir rencontrer un large public.

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    1. Je n’ai pas parlé des mythes, d’autres l’ont très bien fait, et j’avoue quelques lacunes de ce côté !
      Pour le travail d’édition, je ne suis pas compétente non plus, je ne livre là que mon ressenti de lecture. Et je suis contente, le changement de personnalité de Léna que j’avais noté en cours de lecture, et qui m’avait un peu déstabilisée, est en fait volontaire de sa part, ce qui m’avait traversé l’esprit, tout de même 😉
      Moi aussi, je suis ravie de tous ces avis enthousiastes de libraires et de lecteurs, et je pense qu’il peut plaire à un grand nombre.

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    1. Merci Dominique, la modération, c’est tout moi ! 🙂
      Je connais ça, les listes à rallonge, et cette rentrée ma foi fort intéressante n’arrange pas les choses !

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  2. Le sujet de Tchernobyl m’attire également. J’avais d’ailleurs beaucoup aimé « Tout ce qui est solide se dissout dans l’air ». J’ai l’intention de le lire, sans perdre de vue que c’est un premier roman.

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    1. Il faut avoir ce point en tête, mais tu verras, il a beaucoup de qualités. Je le répète, je n’étais pas tout à fait dans mon « élément » avec cette lecture !

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  3. Je pense que tu fais bien ressortir toutes les qualités de ce roman, forcément liées à la personnalité d’Alexandra et que tu as raison de pointer toutes les zones d’amélioration sur lesquelles j’ai choisi de ne pas m’attarder, préférant rester sur une impression d’ensemble très très bonne, surtout au vu de la cinquantaine de premiers romans que j’ai enchaînés cet été pour la sélection des 68 premières fois… 🙂

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    1. Quelques améliorations, sans doute, puisque je n’ai pas ressenti de coup de cœur. Juste une bonne lecture, ce qui est déjà bien pour un livre qui sort un peu de mes lectures habituelles. Je ne pourrais pas lire comme toi tous ces premiers romans français d’affilée ! 🙂

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  4. J’aime beaucoup les romans sur l’exil et Tchernobyl m’intéresse depuis le début donc ce livre est pour moi!!!
    j’ai adoré « Le bleu des a :-)beilles » découvert grâce à Babelio

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  5. J’ai repéré ce livre ! Je n’ai jamais entendu parler de l’auteure mais le suet m’intéresse beaucoup et je ne pense pas être rétive à ce type d’écriture (quoique parfois, pour certains sujets, ça ne passe pas).

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  6. Je l’ai acheté celui-ci mais ma petite librairie ne l’a pas encore reçu. C’est le premier avis nuancé que je lis, et j’avoue que c’est intéressant. On peine parfois à critiquer un roman écrit par une personne que l’on connait. Je le lirai plus tard, lorsque l’effet « rentrée littéraire » sera retombé.

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    1. Pour une fois, je ne dis pas : « ce roman risque de ne pas plaire à tout le monde », je pense au contraire qu’il plaira à beaucoup, mais que je ne suis pas complètement sensible à ce genre d’histoire. (mais j’aime le thème de l’exil, de la survie à une catastrophe, et le style)

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  7. Intéressant comme avis parce que ça me permet de mieux situer si c’est susceptible de me plaire ou non, et j’ai l’impression que je le vivrais un peu comme toi pour des raisons de goûts personnels aussi. C’était mon pressentiment déjà mais là, tu confirmes. En tout cas, superbe aventure que vit Alexandra car les libraires ne tarissent pas d’éloges au sujet de ce roman.

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  8. Je l’ai lu sans partager l’emballement général pour ce livre. Je n’ai pas « médiatisé » mon billet de blog pour ne pas peiner Alexandra; en revanche je n’ai pas voulu ne pas être honnête et sincère. C’est sans doute pour cela que les réactions se sont fait plutôt discrètes.Je trouve dommage ce parti pris dès l’instant où il s’agit  » de personnes que l’on connait ».

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    1. J’ai lu ton billet. Du moment que les ressentis sont argumentés, il n’y a pas de raison de ne pas publier de billet. Tout le monde ne peut pas adorer les mêmes livres, heureusement que la diversité des lecteurs existe !

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  9. Je le lirai certainement avec une petite pointe d »inquiétude car quand on connait l’auteur, on ne veut pas faire de peine si le roman n’est pas à la hauteur de nos attentes.
    Bravo pour ton honnêteté, Alexandra est quelqu’un de très ouvert et je suis certaine qu’elle ne t’en voudra d’avoir formulé quelques bémols.

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    1. Nous avons échangé quelques mots avec Alexandra suite à ce billet, c’est toujours intéressant de voir qu’on n’a pas si mal cerné les intentions de l’auteure. Je suis sûre que tu aimeras ce roman plein de justesse.

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  10. Je dois avouer être un peu passée à côté de l’emballement autour du roman et mon avis sera moins dithyrambique que la moyenne et j’apprécie ton billet en nuances!

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    1. Je lirai avec intérêt ton avis. Aucun roman ne peut plaire absolument à tout le monde… ce sont surtout les libraires qui sont enthousiastes pour A crier dans les ruines, et tant mieux pour le roman, puisque ce sont eux qui le vendent le mieux !

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