« Tous ces autres qui ont croisé ma route, un à un, ces dernières années, j’ai su les replacer sur l’échiquier, comme un ancien mordu d’échecs remet les pièces en position pour revivre une partie qui a signifié quelque chose de particulier pour lui. »
Au soir de sa vie, Wilfried Wils se souvient et recompose de mémoire son existence, et notamment la période sombre de l’occupation. Il avait vingt-deux ans, vivait avec ses parents à Anvers, et était policier, ce qui signifiait participer parfois à des actions qu’il réprouvait, sans pouvoir toutefois s’y soustraire.
Pris entre son amitié pour son collègue Lode, plus carré et plus idéaliste que lui, son amour pour Yvette, et ses relations avec son professeur, un collaborateur qu’il surnomme Barbiche Teigneuse, le jeune Wilfried ne sait pas quel parti prendre, balançant entre résistance molle et participation peu active à des exactions à l’encontre des Juifs.
« C’était une époque pleine d’ambiguïté et de dérision qui, en cela, ne diffère pas des autres. À moins qu’elle ne soit jamais passée et rôde encore parmi nous. »
Le roman dévoile l’influence de ces années de guerre sur toute la vie de Wilfried en alternant les époques, et en étudiant ses relations avec les membres de son entourage.
Entrer dans les pensées du vieillard qui veut laisser une trace, des explications, à son arrière-petit-fils lycéen, n’est pas une sinécure. Malgré son grand âge, il reste cynique et grinçant, ne regrette presque rien, cherche constamment à justifier tout ce qu’il a pu faire. Il fait intervenir à cette fin son double, inventé dans son enfance, Angelo, qui aurait été son côté maléfique. L’ambiguïté est le maître-mot de ce roman.
« Et nous : avons-nous contribué à rendre tout cela possible, ou sommes-nous des témoins qui jamais ne témoigneront de ce que nous sommes amenés à voir pendant nos heures ? »
Il ne faut pas venir chercher dans Trouble des personnages tout d’un bloc, sans faille, ou d’un courage hors du commun. Scruter des personnalités souvent lâches et pitoyables, en premier lieu celle du « héros », ne rend pas la lecture facile, mais passionnante, oui, et posant des questions universelles.
Bien qu’il ne soit pas dépourvu de quelques longueurs, le texte dense et fort, peu dialogué, restitue brutalement l’atmosphère menaçante d’une ville aux prises avec les heures les plus sombres de son histoire, ainsi que les motivations de chacun des protagonistes, souvent peu reluisantes.
Le narrateur fait plusieurs fois référence au tableau de Bruegel l’Ancien « Dulle Griet » (ou Margot la Folle) qui montre une paysanne dirigeant une armée de femmes en route pour piller l’Enfer : un tableau aussi saisissant que le parallèle opéré !
Trouble de Jeroen Olyslaegers (Wil, 2017) éditions Stock (janvier 2019) traduit du néerlandais (Belgique) par Françoise Antoine, 448 pages
Lire le monde : Belgique
Lecture commune pour le mois belge, allons lire les avis de Anne, Marilyne, Mrs Pepys, Nadège, Nath…
Je trouve passionnant ce que tu dis de ce livre. Et J’aimerais bien le lire. Je vais le mettre sue ma liste.
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Il mérite le détour, que ce soit tout de suite, ou un peu plus tard en poche…
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Je te rejoins sur le passionnant de la lecture et sur le maître mot ambiguïté mais je n’ai pas perçu Angelo comme maléfique, au contraire, plutôt une conscience exacerbée, intransigeante. Nous nous retrouvons autour du tableau de Brueghel, très envie de le voir en vrai 🙂
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La preuve de l’ambiguïté du roman, c’est qu’Angelo peut-être perçu différemment…
Je ne suis allée qu’une fois à Anvers, à l’adolescence, il faudrait que j’y retourne (pour voir le tableau entre autres)
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un livre que je viens de croiser chez Anne et que j’ai mis sur ma liste illico
le tableau de Dulle Griet est effectivement un tableau impressionnant à la fois de violence et de drôlerie
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Ce roman a tout pour te plaire… et tu devrais le trouver facilement en bibliothèque… 😉
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Tout à fait un roman qui pourrait me séduire.
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Oui, très certainement, si tu n’en attends pas forcément un coup de cœur.. 😉
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ce roman m’a beaucoup plu par les thèmes abordés, l’ambiguïté toujours présente…
le tableau de Bruegel l’ancien me fascine aussi 🙂
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Un roman qui mérite d’être connu (et le tableau également).
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Passionnant, troublant, oui, et très interpellant par rapport à notre histoire contemporaine en Belgique
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Sur le thème de la collaboration, mais en France, le roman me rappelle aussi Niels d’Alexis Ragougneau, ou Après la guerre d’Hervé Le Corre, que j’avais moins aimés, toutefois.
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Je lis les différents billets, franchement tentants…
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Je me suis laissé tenter par cette lecture commune, et j’ai bien fait !
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Ce tableau est fascinant. Tu donnes aussi envie de découvrir ce livre. Merci 😉
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Toi qui aimes l’histoire, ce roman devrait te plaire.
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Je lis actuellement un roman allemand sur les positionnements des uns et des autres pendant la guerre et tout ce qui s’ensuit .. Thème passionnant et qui travaille toujours la société (tant que tous les acteurs ne sont pas morts .. et encore !) Je note celui-ci pour continuer, plus tard.
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J’attends ton avis sur le roman allemand, c’est intéressant de retrouver ce thème dans différents contextes.
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Bruegel l’ancien ou le jeune, des peintres qui ont marqué mon adolescence. Ce livre pourrait me plaire
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Ce tableau est frappant, les musées flamands regorgent de trésors (je pense aussi à Jerôme Bosch).
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J’avais eu du mal à entrer dans ce roman, et puis j’ai fini par le trouver passionnant.
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Tu as bien fait de persévérer… c’est toujours plus difficile quand on n’a guère de sympathie pour le personnage principal.
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