Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux

leursenfantsapreseuxRentrée littéraire 2018 (13)
« Anthony vivait l’été de ses quatorze ans. Il faut bien que tout commence. »

Des jeunes nés dans la petite ville, anciennement industrielle d’Heillange, vivent quatre étés de 1992 à 1998… Anthony, Stéphanie, Hacine, Clem, entourés de leurs familles, leurs amis, ont d’abord quatorze ans, puis seize, dix-huit, vingt. Ils se rencontrent, s’approchent, s’accrochent, vivent leurs premières amours, tentent de se trouver une place, de s’inventer un avenir, se cherchent à l’opposé de leurs parents, dont ils dépendent encore. Ils rêvent de quitter leur petite ville, mais les moyens pour y parvenir ne leur sont pas donnés, à eux de les imaginer.

« À force de marcher, Anthony avait naturellement dérivé vers les marges de la ville. Jusque loin, on voyait maintenant un panorama navrant de buttes épaisses, d’herbes jaunes. Là-bas, une carcasse de caddy abandonné. Pour ceux qui avaient de l’imagination, ça pouvait sembler romantique. »
Tout d’abord, ce billet n’est pas un « effet-Goncourt ». Il m’arrive de lire des livres primés, bien entendu, et d’en aimer, mais ce n’est pas en général ce qui guide mon choix. Non, je l’avais réservé à la bibliothèque parce qu’il m’intriguait et l’ai lu une dizaine de jours avant que le fameux prix ne lui tombe dessus ! Mes impressions de lecture ne sont donc pas influencées, ni en bien, ni en mal.
Ce qui m’a beaucoup plu dans ce roman, c’est tout d’abord la mise en place en quatre étés non consécutifs, avec donc des ellipses qu’il convient au lecteur de combler. À aucun moment, je ne me suis ennuyée, ou lassée, comme cela aurait pu être le cas si l’auteur avait concentré tout sur un seul été, ou au contraire, étalé l’action de manière lisse sur plusieurs années.
J’ai beaucoup aimé aussi que les situations dramatiques ou conflictuelles ne soient pas toujours résolues de la manière la plus attendue, ou en cherchant au maximum à susciter l’émotion. L
e style parfaitement fluide et lisible, n’est jamais fade, même pour décrire un quotidien terne, ou des situations triviales. Les questionnements propres à l’adolescence donnent de toute façon du relief à tous les moments vécus.

« Ici la vie était une affaire de trajets. On allait au bahut, chez ses potes, en ville, à la plage, fumer un joint derrière la piscine, retrouver quelqu’un dans le petit parc. »
Le sujet,
comme le dit l’auteur, ce sont « des vies qui commencent dans un monde qui s’achève ». Ce thème de la disparition des classes ouvrières, et de la fracture sociale qui en a découlé, m’a rappelé le roman italien de Silvia Avallone, D’acier, ou les films de Ken Loach. Il a été à l’origine d’essais, je pense notamment à ceux de Christophe Guilluy sur la France périphérique, mais le présent roman, s’il est porteur de cette idée, est surtout formidable pour les portraits d’adolescents et de jeunes gens qu’il propose, pour l’immersion particulièrement réussie dans les années 90, pour l’évocation sensible et véridique du Nord-Est de la France, et pour son style percutant.
Je n’irai pas jusqu’à parler de chef-d’œuvre, mais c’est une lecture intense, prenante, d’un réalisme parfois cru et toujours plein de justesse. Je l’ai terminé il y a presque un mois, et aucun autre roman ne m’a autant accrochée depuis.


Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu, éditions Actes Sud (août 2018), 432 pages.

Excellent pour Cuné et Leiloona, alors que Delphine-Olympe est restée un peu à l’extérieur, c’est un coup de cœur pour Val.

55 commentaires sur « Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux »

  1. Il me tente beaucoup celui-là (et ton avis ne fait qu’en rajouter). Je n’ai pour l’instant pas lu d’avis trop négatifs. Je vais aller lire celui de Delphine-Olympe pour avoir un autre point de vue.

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    1. Sur Babelio, les avis négatifs commencent à arriver… Normal, si on ne le lit que parce que c’est le Goncourt, et non parce que le thème ou l’écriture nous parle. Si je n’avais pas accroché aux premières pages, je n’en aurais sans doute pas parlé, c’est peut-être dommage, mais c’est comme ça ! 😉

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    1. Pas tout à fait un coup de cœur non plus (presque), un très bon roman en tout cas… quant au Goncourt, je n’ai pas lu les autres. Parmi les quinze sélectionnés, c’était celui dont le sujet me tentait le plus.

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  2. j’hésitais! surtout que les avis sont très mitigés sur Babelio! j’attendrai qu’il soit disponible à la bibliothèque (dans 6 mois environ vu l’effet Goncourt)
    le Goncourt des lycéens me tente beaucoup plu (je suis plus en phase avec leur choix (la plupart du temps) et de toute manière le roman de Diop est dans ma PAL 🙂

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    1. Je suis souvent plus en phase avec le Goncourt des Lycéens, que je n’ai pas encore lu cette année… On verra. Quant aux avis négatifs, je ne m’en étonne guère, c’est ce qui arrive lorsqu’on lit un livre avec lequel on n’a a priori pas d’atomes crochus, juste parce qu’il a obtenu un prix. 🙂

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    1. Il y a quand même peu d’avis négatifs, sur Babelio, ils semblent provenir de lecteurs qui aiment tout autre chose habituellement… (c’est mon analyse 😉 Mais si tu n’en as pas envie, nulle raison de te forcer !

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  3. Il me fait toujours hésiter, sujet visiblement intéressant mais peur de l’ennui en fait. Après je ne fais pas trop attention aux avis des autres, pour ne pas être mal influencée. De cette rentrée, comme tu l’as vu, je retiens le Ferrari et Joncour, surtout. C’est une rentrée un peu poussive je trouve

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    1. Tu n’as pas à craindre l’ennui, vraiment, sauf à attendre un polar ou thriller, ce qu’il n’est pas. Quant à la rentrée, je l’ai trouvée très intéressante côté romans étrangers, et d’ailleurs, j’en ai encore quelques-uns dans ma liste à lire.

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  4. Je n’ai pas pris le temps de faire un billet mais je l’ai lu comme toi avant son prix en j’en tire à peu près les mêmes conclusions. C’est prenant et intense, même si les personnages sont très souvent à la limite du cliché.

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  5. Alors moi, de Silvia Avallone, je n’ai pas lu D’acier, mais La vie parfaite. Et c’est vrai qu’il y a quelque chose de commun dans l’approche du sujet. En revanche, j’ai trouvé l’écriture de l’auteure italienne beaucoup plus incarnée, plus vive, plus enthousiasmante…

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  6. Moi c’est une libraire qui m’en avait parlé avec tant d’enthousiasme (avant le prix) que j’avais failli me laisser convaincre alors que le sujet ne me parlait pas trop. J’hésite toujours mais j’avoue être assez intriguée par le succès de ce livre.

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  7. Très chouette billet ! En te lisant, je constate qu’il y a des choses que j’aurais pu écrire aussi, sur les ellipses par exemple qui sont un procédé très bien maîtrisé ici en effet. Moi qui d’habitude ne donne pas dans ce genre de littérature sociale, j’ai beaucoup apprécié aussi.

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  8. La semaine dernière, une collègue de lettres m’a interpellée en me disant « Mais qu’est-ce que tu lui trouves à ce livre ? Il est mal écrit ». Je ne suis pas spécialiste de la plume mais j’ai aimé cette écriture et j’ai beaucoup aimé la construction, les personnages et leur manque d’évolution (pour les garçons).

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    1. Mal écrit ? Ce n’est pas du tout mon avis non plus ! Je n’étais pas sûre qu’il me plairait, et pourtant j’ai été emportée par cette écriture, justement. Mais bon, tous les goûts, n’est ce pas… 🙂

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