Jeffrey Eugenides, Des raisons de se plaindre

desraisonsdeseplaindre.jpgRentrée littéraire 2018 (9)
« Tomasina pouvait juger de la fécondité d’un homme à son odeur et à son teint. Une fois, pour amuser Diane, elle avait ordonné à tous les individus de sexe masculin de tirer la langue. Ceux-ci s’étaient exécutés sans poser de question. Comme toujours. Les hommes aiment être objectifiés. »
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je trouve cette rentrée littéraire particulièrement riche en belles retrouvailles avec des auteurs déjà lus, sans compter les découvertes de nouveaux auteurs, et ce, surtout dans le domaine de la littérature étrangère… Je suis comme une enfant devant un catalogue de jouets, et j’accumule les tentations, sans oublier d’y céder parfois. Comme avec ce recueil de Jeffrey Eugenides, auteur que je n’avais pas relu depuis Middlesex, roman adoré en son temps, il y a presque quinze ans, tout de même.
Bref, qu’allait-il résulter de ces retrouvailles ? Le livre commence tout d’abord par « Les râleuses », une nouvelle très belle et sensible, qui donne une belle image de l’amitié féminine et de la vieillesse, et où la littérature joue un joli rôle… Dans les autres nouvelles, « Par avion », « Musique ancienne », « Des jardins capricieux » ou « Multipropriété », pour n’en citer que quelques-unes, les personnages principaux sont plutôt des hommes, et pas toujours au meilleur de leur forme. Malades, ruinés ou récemment séparés, ils jettent un regard désenchanté sur leur vie, tentent d’en recoller les morceaux, ou essayent de redresser la tête sans voir qu’ils vont tomber de mal en pis. Souvent originaux, les thèmes évoqués conviennent bien à un format court, et le regard doux-amer de l’auteur fait merveille. Quel talent d’observation, quel art des dialogues où l’incompréhension domine !

« En quoi l’activité de Rodney était-elle un travail, contrairement à celle de Rebecca? Primo, Rodney touchait un revenu. Secundo, il devait plier sa personnalité aux désirs de son employeur. Tertio, il n’aimait pas ce qu’il faisait. Ça, c’était le signe incontestable que c’était un travail. »
L’auteur manipule avec dextérité les thèmes des relations familiales, du travail, du sexe, de l’argent, de l’attachement à un lieu, une maison, une ville. Après, comme bien souvent avec les nouvelles, le lecteur se retrouve plus dans l’une que dans l’autre, d’autant qu’ont été regroupées dans ce recueil dix nouvelles parues sur une vingtaine d’années, et qu’on sent qu’elles sont, dans une certaine mesure, inspirées par l’actualité de l’époque. Il est donc difficile de les apprécier toutes de la même manière, mais elles sont de bonne facture, pas trop brèves, l’auteur prend le temps d’installer personnages et situations, et elles sont tout à fait représentatives d’une vision ironique mais compatissante de l’individu dans la société américaine.
Je conseille ce livre aux amoureux de la littérature américaine, aux amateurs de nouvelles, aux curieux !


Des raisons de se plaindre de Jeffrey Eugenides (Fresh complaint, 2017) éditions de l’Olivier (septembre 2018) traduit par Olivier Deparis, 302 pages.

32 commentaires sur « Jeffrey Eugenides, Des raisons de se plaindre »

  1. J’avais adoré « Le roman du mariage » et je garde un bon souvenir de « Virgin Suicides » alors celui-ci me fait de l’oeil. Je ne suis pas amatrice de nouvelles, mais je viens de finir le dernier Richard Russo qui contient quelques merveilles du genre.

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    1. J’ai raté Le roman du mariage à sa sortie, mais il est toujours temps de se rattraper. Quant à Virgin suicides, j’ai vu le film, et préféré rester sur ses images, mais là encore, rien ne m’empêche de le lire maintenant…
      Quant au recueil de Richard Russo, i me fait de l’œil aussi !

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  2. J’entre dans les catégories 2 et 3, je n’ai jamais l’auteur bien que j’ai été tentée de franchir le pas lors de Festival America, je crois donc que je vais suivre ta recommandation pour le découvrir.

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  3. Curieuse, je dirais bien oui. Pour le reste, ni amoureuse de la littérature américaine ni amoureuse des nouvelles… Et puis j’avais lu un livre de l’auteur qui ne m’avait pas plus emballée que ça…

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    1. Parfois la curiosité pousse à des découvertes intéressantes… (je réserve souvent les livres pour lesquelles je suis curieuse, sans plus, aux emprunts en bibliothèques)

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  4. je voulais lire « Le roman du mariage » et pas eu le temps, trop de tentations livresques…
    Je n’ai pas lu non plus « Virgin Suicides » (j’ai bien aimé le film que j’ai revu récemment…)

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      1. je l’ai trouvé en poche. J’avais eu un coup de coeur en écoutant Nicolas Demorand (je ne suis pas sûre de l’orthographe!) en parler! et je le regarde en passant en me disant c’est le prochain sur ma liste de lecture 🙂

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  5. Oui, une très belle rentrée en ce qui me concerne aussi (mais tu le sais déjà, nous partageons quelques coups de coeur).
    Comme toi j’ai lu Middlesex et plus rien de plus mais je suis davantage tentée par ses autres titres que par ses nouvelles. A voir toutefois…

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  6. C’est un écrivain qui laisse beaucoup de place aux femmes dans ses récits, romans ou nouvelles, et qui a une vision très critique de la masculinité. les genres sont le plus souvent au cœur de sa réflexion, il me semble.

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  7. Fan de l’auteur, il me reste à lire Le roman du mariage. Et, franchement, même si tu as vu le film Virgin suicides, je te conseille le livre, il est rare que deux œuvres se complètent aussi bien !

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  8. Toujours pas lu cet auteur. Pas sûr que ce soit une bonne idée de commencer par ce recueil de nouvelles mais il faudrait que je saute le pas pour Middlesex, dans ma LAL depuis sa parution (enfoui au fin fond d’autres tentations^^).

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