Roddy Doyle, Smile

smile.jpgRentrée littéraire 2018 (6)
«
 J’aurais commencé à prendre des notes, et même écrit des phrases entièrement construites. Je serais devenu George Orwell, si je me l’étais autorisé. »
À 54 ans, Victor Forde en serait à faire plus ou moins le bilan de sa vie si elle n’était pas aussi désespérément vide. Divorcé, il vient de s’installer dans un modeste deux pièces, et se dit écrivain, bien que n’ayant jamais publié le livre sur l’Irlande sur lequel il travaille depuis une éternité. Il prend des habitudes dans son nouveau quartier, notamment de passer un moment au Donnelly’s chaque soir. Il y rencontre un homme de son âge qui lui dit avoir été son camarade de classe, même si Victor n’en a aucun souvenir. De plus, ce nommé Ed Fitzpatrick le met plutôt mal à l’aise, en lui rappelant des épisodes particulièrement désagréables du collège de Frères qu’ils fréquentaient.

« J’aurais dû partir. J’aurais dû sortir sans me retourner. Peut-être m’aurait-il suivi, mais je ne lui aurais rien appris de plus. Car, plus tard, je me suis rendu compte qu’il savait déjà où j’habitais. »
Avant sa sortie, j’avais déjà repéré ce roman de Roddy Doyle, auteur que je retrouve avec plaisir après la trilogie de Barrytown (trois romans sociaux et humoristiques à la fois qui ont donné lieu à trois films : The van, The snapper et The commitments) et plus récemment, Paula Spencer. L’auteur a écrit entre temps pour la jeunesse, me semble-t-il, d’où cette relative éclipse entre ses parutions. Bref, j’étais ravie de revoir son nom apparaître pour la rentrée littéraire et que j’ai à peine pris le temps de jeter un œil à la quatrième de couverture avant de passer à l’achat. Quoique cette couverture n’en dise pas trop, mieux vaut ne pas arriver avec trop d’idées sur ce roman, et se laisser porter.

« Nous avions dû nous connaître au collège. Mais je ne visualisais aucune version plus jeune de cet homme. Je ne l’aimais pas. Ça, je l’ai su immédiatement. »
Centré sur les retrouvailles entre Victor Forde et son passé, remis en mémoire par un ancien camarade lourdaud, souvent vulgaire et peu diplomate, ce roman passe par des dialogues de bar criants de vérité, des moments où Victor se remémore son enfance ou sa vie avec Rachel, la brillante épouse qui l’a quitté. Il repense aussi aux émissions de radio où il s’est fait connaître, et qui lui ont fourni la matière du livre qu’il écrit. Cependant, le roman contient également des moments plus intrigants. Les différents éléments sans réponse distillés par l’auteur maintiennent un suspense non de type policier, mais psychologique, de même que la couverture et le titre permettent de se poser des questions.
Si on perçoit assez vite le traumatisme d’enfance que Victor essaie d’occulter, la fin du roman prend toutefois le lecteur complètement par surprise et éclaire avec virtuosité tout le reste du texte, donnant envie de relire au minimum certains passages pour mieux comprendre tout le tour de force réalisé ! Lequel tour de force ne doit pas dissimuler le fait que ce roman constitue aussi un portrait très parlant de l’Irlande des cinquante dernières années.

Smile de Roddy Doyle (Smile, 2017) éditions Joëlle Losfeld (août 2018), traduit par Christophe Mercier, 248 pages.

Lu aussi par Inganmic, Maeve et Yvon.
Lire le monde (Irlande)
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28 commentaires sur « Roddy Doyle, Smile »

  1. Comme je l’écrivais à Inganmic, j’attendais des avis sur ce roman. Je l’avais noté dans les programmes de parutions, sans connaître l’auteur. Je suis ( bien ) renseignée maintenant 😁

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    1. J’ai aligné pas mal de belles lectures, c’est vrai… Le problème des romans décevants, c’est qu’eux et moi nous nous séparons souvent au bout de quelques dizaines de pages, et ce n’est pas suffisant pour écrire un billet argumenté. Parce que c’est toi, en voici deux exemples récents : Là où les lumières se perdent de David Joy ou Attachement féroce de Vivian Gornick…

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  2. je viens de lire le billet d’Ingammic et je dois dire qu’avec le tien, je suis décidée à lire le livre. L’intrigue psychologique et la vision de la société irlandaise me plaisent à priori.

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  3. Jusqu’ici, je n’avais jamais été tenté de lire Doyle et les images que j’ai vues de ses adaptations au cinéma ne m’ont pas plus tenté. Mais il se pourrait bien que ce dernier roman puisse être ma porte d’entrée dans son univers…

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    1. Ce roman est dans une veine plus sombre, avec toujours ce côté social qui le caractérise, et son regard sans concession sur l’Irlande… Son mailleur roman, pour moi.

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  4. J’avais lu (il y a très longtemps) sa trilogie (« The commitments », etc.) que j’avais aimé. Puis détesté « Paddy Clarke… » car j’avais envie de foutre des baffes au gamin, une vraie tête à claques. Et du coup, je n’avais plus relu Doyle. Tu me redonnes envie.

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