Ingrid Thobois, Miss Sarajevo

miss_sarajevo.jpgRentrée littéraire 2018 (3)
« On se suicide et on dévore la vie au nom d’un seul et même scandale : l’exiguïté du couloir du temps qui nous est alloué, dans lequel il nous est permis d’avancer, mais jamais de faire demi-tour, ni de nous arrêter. »

Joaquim a quarante-cinq ans et prend le train pour retourner dans sa ville natale, Rouen, pour revoir une dernière fois l’appartement de son enfance. Joaquim a vingt ans et arrive muni d’un appareil photo dans Sarajevo bombardée et soumise aux caprices des tireurs embusqués. Entre-temps, il a eu une belle carrière de reporter de guerre, mais une vie privée presque inexistante.

« Chaque fois que Joaquim rentre de reportage, le même phénomène se reproduit. À peine a-t-il posé le pied sur le sol français qu’il chute sans pouvoir se raccrocher à rien. Il a deux ans, cinq ans, dix ans. Il a l’âge de toutes les enfances, qui est aussi celui de toutes les impuissances. »
Joaquim passe le trajet à se souvenir, de ses parents rigides et fermés, sa jeune sœur anorexique, Viviane, qui s’est suicidée, de son premier amour, Ludmilla, et surtout de Sarajevo. Dans la ville assiégée, il a partagé le quotidien d’une famille, compris ce que signifiait de ne plus pouvoir sortir sans risques, dans une ville où le simple fait de rester dans son appartement était un acte de bravoure magnifique.
Les passages sur Sarajevo sont très touchants, comme ceux où la jeune Ilena prépare en y mettant toute son âme un défilé de miss. Défilé qui a vraiment eu lieu, qui est immortalisé par une photo ayant fait le tour du monde, et qui a inspiré une chanson « Miss Sarajevo ».

« Dans les vapeurs du révélateur, du bain d’arrêt et du fixateur, il travaille en écoutant la radio. Il aime comme le jour et la nuit passent indifféremment dans la lumière rouge, la seconde pour seule unité. »
L’appareil photo de Joaquim sert de fil conducteur au roman qui contient des moments très émouvants et est nourri de réflexions très intéressantes sur l’image, sur la vie, sur la mort. La construction entremêle parfaitement les thèmes, j’ai trouvé cet aspect du roman particulièrement réussi.
Toutefois si j’ai bien accroché à l’histoire, le style m’a rebutée à certains moments. Ma lecture a été tout du long une alternance de moments où l’écriture m’éblouissait par sa justesse, et d’autres où je grimaçais à quelques expressions excessivement poétiques, ou qui sonnaient moins bien. Bon, rien de rédhibitoire, si ce n’est que mon goût pour la sobriété s’en est trouvé malmené !
D’autre part, j’ai trouvé l’accumulation de thèmes dramatiques un peu lourde à supporter, la mort de Viviane, la guerre de Bosnie, mais surtout, le secret familial qui entoure la petite enfance de Joaquim m’a paru aller trop loin, vous comprendrez que je ne peux pas être plus explicite… Miss Sarajevo est à mon avis un roman qui peut bouleverser le lecteur ou le laisser un peu sur le côté, je fais manifestement partie de la deuxième catégorie.

Miss Sarajevo, d’Ingrid Thobois, éditions Buchet-Chastel (août 2018), 215 pages.
Lu pour une opération Masse critique de Babelio.
C’est un coup de cœur pour Antigone

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31 commentaires sur « Ingrid Thobois, Miss Sarajevo »

    1. Je n’ai pas mis d’exemple de phrases qui m’avaient déplu, car hors contexte ça ne se sent pas forcément… Quoiqu’il en soit, il te plaira sûrement.

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  1. Je n’ai pas demandé ce livre, parce que j’ai pressenti que je resterais sur le côté, moi aussi. Malgré l’avis d’Antigone, je pense que je ne le tenterai pas.

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    1. Pourtant, une partie se passe à Rouen ! J’ai enchaîné ensuite sur Mémoire de fille d’Annie Ernaux, et je reconnaissais dans les deux romans des rues que j’avais parcourues.

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  2. Je dois avoir lu « Le roi d’Afghanistan ne s’est pas marié » il y a plusieurs années, il me semble me souvenir que je m’y étais ennuyée. C’est amusant, je vis faire une mini-série consacrée à des romans en lien avec la photo.

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    1. C’était la première fois que je lisais l’auteure… Plusieurs romans de la rentrée s’intéressent à la photo : celui, celui de Jérôme Ferrari (A son image) et un autre… Ah oui, Presque une nuit d’été de Thi Thu… Tu penses bien que ta mini-série m’intéresse ! 🙂

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  3. J’ai eu bien du mal à l’écrire mon billet ! Je n’arrivais pas à expliquer pourquoi j’étais restée un peu sur ma faim… et pourtant, contrairement à toi, j’ai été séduite par le style. J’avais adoré Le plancher de Jeannot, en revanche.

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