Christophe Boltanski, Le guetteur

guetteurRentrée littéraire 2018 (1)
« J’aurais pu ne jamais savoir que ma mère écrivait. Ou plus exactement qu’elle avait tenté d’écrire. »

J’ai découvert il y a deux ans La cache, premier roman de Christophe Boltanski, prudemment, après quelques avis sûrs, et j’avais aimé sa manière de laisser le lecteur libre de flâner dans la maison de son enfance, de partager un regard amusé sur sa famille, sans être trop explicatif.
Dans Le guetteur, il enquête sur sa mère. Il a découvert à sa mort qu’elle avait écrit des débuts de romans policiers, il en est curieux et se demande si cela a à voir avec la manière dont elle vivait presque recluse, harcelée par des idées paranoïaques, ne sortant que la nuit, vivant les rideaux tirés sur un appartement enfumé et envahi de montagnes de papiers et journaux. Il revient aussi sur sa jeunesse militante, à la fin des années 50, va poser des questions, chercher des documents. Elle distribuait des tracts contre la guerre en Algérie, fréquentait des étudiants plus ou moins engagés, et des personnages plus sombres…

« Je relus plusieurs fois ces fragments en quête d’un sens caché. Je me laissais bercer par leur musique. J’appréciais la tournure d’une phrase, souffrais de la maladresse d’une autre. Comme si j’en étais l’auteur. »
Plusieurs fils se dévident tour à tour, qu’il faut nouer, ou pas, selon l’humeur du lecteur, et ce procédé n’entraîne aucun ennui, on passe avec facilité de l’enfance ou de la jeunesse de sa mère, à ses derniers jours, et de l’imaginaire des débuts de romans qu’elle a écrit aux questions que se pose son fils… c’est intelligent, jamais laborieux. Il enquête sur des jumeaux musiciens bretons, sur un américain créateur des Barbapapas, retrouve un détective que sa mère avait engagé… Christophe Boltanski montre également son attachement aux lieux, se focalise autant sur les endroits où a vécu sa mère que sur les personnes qu’elle a connues.

« Ce tissu urbain discontinu, alternance de grands ensembles aux structures rondes ou quadrangulaires, et de rues calmes de facture provinciale, portait-il une part de responsabilité dans cette histoire ? Un lieu, un espace peut-il être coupable à l’égal de ses occupants ? »
Force est de constater que, comme trop souvent dans la littérature française contemporaine, il s’agit du roman qu’un auteur consacre à sa mère, et, même si sa voix est originale, et qu’il manie aussi bien la dérision que la tendresse, je préfère toujours quand l’imagination de l’écrivain m’emmène un peu plus loin que vers ses propres origines. La particularité de ce texte réside dans le fait que l’auteur se penche sur la vie de sa mère avant qu’elle ne devienne sa mère, et après qu’elle l’ait élevé, essayant de retrouver des liens entre les deux femmes qu’elle a été, l’une toute jeune, l’autre en fin de vie. C’est original et ça fonctionne très bien.
Comme La cache, que j’ai légèrement préféré, et qu’il ne prolonge pas vraiment, (on peut lire l’un sans l’autre), Le guetteur m’a fait passer un très bon moment de lecture, plutôt marquant.

Le guetteur de Christophe Boltanski, éditions Stock (août 2018), 288 pages.

#LeGuetteur #NetGalleyFrance

26 commentaires sur « Christophe Boltanski, Le guetteur »

  1. Je me demande parfois comment ceux qui veulent écrire feraient si les familles n’existaient pas, et surtout les mères….
    Merci pour cette chronique de rentrée : il va y avoir tant de livres que c’est bien de faire un tour d’horizon sur les bons blogs.
    Bonne journée.

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    1. Merci pour ce commentaire ! (repêché parmi les indésirables, non mais !)
      C’est vrai que la famille est un thème inépuisable, qu’elle soit réelle ou imaginaire (mais les familles réelles sont souvent plus incroyables).

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  2. Je me souviens de ces longues conversations avec mon fils, qui, avant de quitter ce monde, voulut connaître la femme que j’avais été avant sa naissance. Il me disait : « Je sais qui est ma mère, mais je ne sais pas qui tu es ».
    Ta chronique fait écho à ces moments bénis de douce intimité avec lui.

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    1. Merci pour ton témoignage. Dans le cas de Christophe Boltanski, il n’a pas vraiment eu l’occasion de l’interroger, elle était très secrète, il mène donc des recherches après sa disparition…

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  3. J’ai beaucoup aimé « la cache » et sans vouloir faire de jeu de mots facile, je le guettais celui-là ! J’aime son écriture, ceci dit, je suis fatiguée moi aussi de cette inspiration actuelle très autobiographique chez les Français. Je préfère les bons gros romans à l’américaine, ce qui ne les empêche sans doute pas d’y glisser des portraits de famille incognito … ça leur évite les histoires glauques, genre Emilie Frêche.

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    1. Je dirais volontiers que ces deux livres, La cache et Le guetteur, c’est (pour moi, qui ne suis guère spécialiste) ce qui se fait de mieux dans le genre « autofiction » à la française…

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  4. Voilà qui me fait très envie même si je ne suis pas fan d’autofiction mais il faut bien reconnaître que certaines mères d’écrivains valent tous les polars du monde… 😵

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    1. Voilà qui est très bien résumé ! 🙂 J’aime bien cet auteur, qui fait dans l’autofiction « douce » (pas de règlements de compte) et mesurée…

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    1. Là, c’est du bon (de mon point de vue !) J’avais beaucoup aimé aussi La cache, et j’ai retrouvé ici la manière de ne pas tout assener, de faire des ellipses…

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  5. Quant à moi, il ne me dérange aucunement qu’un auteur parte de son expérience personnelle pour écrire un livre. Je dirais même souvent au contraire. Ce livre sera peut-être pour moi l’occasion de découvrir Christophe Boltanski.

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  6. Et bien voilà tu résumes très bien ce que je n’aime pas lire dans les romans français : l’autofiction. La puissance de l’écriture sauve certains de ces textes. Il y a tellement de belles choses à découvrir que je vais ignorer celui-ci.

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