Emma-Jane Kirby, L’opticien de Lampedusa

opticiendelampedusa« Jamais il n’oubliera le contact de ces mains glissantes serrant la sienne. Jamais il ne s’est senti aussi vivant, animé d’une énergie née de ses entrailles. »
C’est le début du week-end sur la petite île de Lampedusa, au large des côtes siciliennes. L’opticien ferme sa boutique, se remémore les raisons qui l’ont amené à s’installer sur cette île, se réjouit à l’idée d’une sortie en bateau avec deux couples d’amis. Au réveil, le lendemain, au milieu de la Méditerranée, d’étranges cris, semblables à de lointains cris de mouettes, le perturbent. Le bateau fait route vers ces appels, et atteignent une masse humaine, des hommes, des femmes essayant de se maintenir à la surface, sur le point de lâcher prise… Les six plaisanciers tentent d’en sauver le plus possible en attendant l’arrivée des secours.

« A travers les clôtures, il est difficile de se rendre compte de la structure du centre d’accueil. A droite, de gros arbres. A gauche, une série de bâtiments bas, blanc délavé, d’apparence neutre. Probablement des bureaux ou des dortoirs. Au fond de l’enceinte, des policiers en uniforme bleu nuit effectuent des rondes tel des gardiens de prison. »
C’est le roman d’un homme banal qui soudain ne peut plus considérer comme banal de croiser des migrants chaque jour sur son île, qui ne peut s’empêcher de vouloir à toute fin prendre de leurs nouvelles au centre de rétention où ils sont admis, et de suivre, plus tard, grâce à quelques messages, le périple de certains d’entre eux à travers l’Europe. Des images terribles s’imposent à la lecture de ce roman, qui n’en est pas tout à fait un, puisque le personnage existe et que Emma-Jane Kirby, journaliste anglaise, l’a vraiment rencontré et l’a questionné sur ce sauvetage dans lequel il a été impliqué. Il devient absolument impossible après avoir lu ce texte de voir les nombres de migrants entassés dans des bateaux, demandant à être secourus, ou bien trop souvent, morts noyés, comme simplement des nombres s’ajoutant à d’autres nombres. Impossible aussi d’imaginer qu’on puisse songer un instant à tout simplement les renvoyer vers leur pays d’origine, après tout ce qu’ils ont souffert et perdu au cours de leur traversée.
Une belle écriture place les mots qui conviennent, sans trop de pathos, sur cette histoire individuelle capable de toucher tout un chacun. J’ai déjà lu d’autres romans sur le même thème, et pourtant, celui-ci a su me toucher comme aucun autre avant.

Les avis d’Eimelle, Lectrice en campagne et Miss Alfie.

 

L’opticien de Lampedusa d’Emma-Jane Kirby, (The optician of Lampedusa, 2016) éditions des Équateurs (2016) traduit de l’anglais pas Mathias Mézard, 168 pages, existe en poche.


Lu pour le mois anglais (à retrouver ici ou )
mois_anglais2017

35 commentaires sur « Emma-Jane Kirby, L’opticien de Lampedusa »

  1. Ce titre m’avait échappé, mais je ne sais pas si je serai assez costaud pour le lire (‘mon’ apprenant du français terriblement volontaire et sympa a dû quitter la ville, a fait un crochet contraint en Italie-par avion-, en est revenu bien sûr, ensuite direction Paris (les tentes je pense) et aux dernières nouvelles (un de ses amis est toujours dans mon coin) est en ‘Germany’ (donc Allemagne). Sans commentaires.

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  2. J’ai été très touchée par ce livre. Une amie qui a l’a lu m’a dit: « ouais…ce type, il vivait à côté de ces gens et de ces drames sans le voir, et d’un coup…Il est pas si concerné « oui, et alors ? Quand tu vas à Lyon, il y a une main tendue tous les 10 pas, est-ce que tu donnes à chaque main? Ce qui est beau, ici, c’est justement la violente prise de conscience de cet homme et de son épouse; c’est beau et c’est dur

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  3. je me souviens avoir noté, c’est un thème qui me touche parce que je côtoie des migrants chaque semaine, tentant de leur apprendre le français… on parle encore moins de l’après, l’intégration en France où ils sont souvent à complètement à l’abandon…

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  4. Un sujet un peu trop chargé pour moi en ce moment je pense mais je note que sur ce thème, c’est un des romans qui vaut le détour.

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    1. Bien sûr, il existe aussi des témoignages plus directs encore mais ce roman fait un beau travail, en focalisant sur un personnage peu sensible au départ au sort des migrants.

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  5. Merci pour ce partage, parfois on ne sait pas trop par quels romans aborder certains sujets, je note donc celui-ci, j’aime ce que tu en dis, je le lirai. Bonne fin de weekend 🙂

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