Christian Guay-Poliquin, Le poids de la neige

Guay-Poliquin_poids-neige.indd« Il neige depuis deux jours. On ne voit plus les montagnes qui ondulent au-dessus du village ni la ligne tracée par la forêt. Les flocons se pressent vers le sol et l’immensité du décor se restreint aux murs de la pièce. »
Ce roman fait partie de ce qui devient depuis peu un genre à part entière, le roman de survie, dont on peut trouver de nombreux exemples dans la littérature contemporaine, notamment venant du continent nord-américain, et qui pose de nombreuses questions. À partir de quel moment la vie devient-elle survie, à partir de quel manque, nourriture, électricité, eau courante ? À partir de quelle hauteur de neige ? Et quelle part d’humanité va rester en l’homme, au fur et à mesure que les besoins naturels vont avoir du mal à être satisfaits ?
Dans ce presque huis-clos, deux hommes se trouvent par la force des choses obligés à cohabiter. Rien ne les relie au départ, Matthias, l’homme le plus âgé, est tombé en panne près d’un village juste avant une coupure d’électricité généralisée qui l’a obligé à se réfugier dans une maison en bordure de la forêt. Le plus jeune, le narrateur, a réchappé de justesse d’un accident de voiture, et les villageois l’ont confié à Matthias, pour qu’il le soigne et le nourrisse, en espérant sa guérison. Au début, le plus jeune reste allongé à observer le temps, la neige qui s’accumule, il ne parle pas. Matthias lui fait la conversation, prépare les repas, lui raconte des passages des livres qu’il lit. Ils reçoivent des visites, celle de la jeune vétérinaire qui reste la seule médecin du village, celles de villageois qui leur apportent des vivres.


« Matthias lit beaucoup, et comme je ne manifeste aucun intérêt pour les bouquins qu’il laisse près de mon lit, il me raconte quelques histoires. Comme ces deux vagabonds qui discutaient au pied d’un arbre en attendant quelqu’un qui n’arrive jamais. »
Plus qu’un roman post-apocalyptique, c’est surtout le face à face qui est au cœur du texte, et la question de l’isolement qui devient de plus en plus préoccupante au fur et à mesure que les centimètres de neige s’accumulent, qui fait évoluer les rapports entre les deux hommes. L’envie de dialoguer ou non, la dépendance, la méfiance ou la confiance, la peur, la colère, vont les animer tour à tour et modifier leur relation. Comme dans le roman de Jean Hegland, Dans la forêt, se pose, mais peut-être moins fortement, la question de ce qui est préférable, la vie dans les grandes villes ou une certaine forme de retour à la nature, choisie ou consentie. J’ai beaucoup apprécié le côté très nuancé du roman, aucune réponse n’est assenée, aucune situation n’est exagérée, ni dans un sens dramatique, ni dans un sens optimiste.

« A ses pieds, la neige fond, l’eau dégoutte et s’étend devant lui. On dirait qu’il est assis sur un rocher et qu’il regarde au loin, vers notre île déserte. »
J’ai été complètement conquise par le style. Raconté du point de vue du jeune homme qui au début, après son accident, a du mal à reprendre pied dans la réalité, le texte s’accroche à de petits détails quotidiens sans jamais être lassant, et au contraire, devient de plus en plus prenant. Les pages tournent rapidement, en surveillant d’un œil la hauteur toujours plus impressionnante de la neige, jusqu’au dénouement. Une découverte enthousiasmante, et un grand bravo aux éditions de l’Observatoire pour cette très jolie couverture qui a encouragé mon choix !

Le poids de la neige de Christian Guay-Poliquin, éditions de l’Observatoire (janvier 2018), 256 pages.

A propos de livres et Marilyne sont séduites, Jostein un peu moins…

38 commentaires sur « Christian Guay-Poliquin, Le poids de la neige »

    1. Par certains côtés, oui (deux personnes presque isolées dans une maison, sans pouvoir trop compter sur « le reste du monde ») par d’autres non… Je n’avais pas fait de billet sur Dans la forêt, surtout parce qu’il y en avait déjà eu beaucoup.

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    1. Il devrait arriver dans ta médiathèque, on en parle aussi sur Page des Libraires, etc…
      Merci, c’est la bannière printanière 😉 (à Grenade, il y a deux ans).

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  1. Ah jolie bannière de printemps !
    Je tourne autour de ce livre depuis un moment, je crois que je vais finir par craquer.

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  2. Je l’avais commencé et ai dû le mettre de côté pour faire passer d’autres lectures. Il faudrait que je le reprenne… d’autant que je le trouvais pas mal du tout.

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  3. Je ne savais pas que c’était devenu un sous-genre le roman de survie. Ce sont souvent des romans qui me laisse froide (sauf exceptions tout de même, comme Cormack Mc Carthy).

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  4. Voilà un livre qui me plairait. J’aime beaucoup le thème surtout si la réponse est nuancée. Ce qui m’avait agacée dans Dans la forêt, c’est l’idéalisation de la vie primitive qui me paraît toujours un peu simpliste. Je préfère la non-réponse de l’auteur estonien que je viens de lire : L’homme qui savait la langue des serpents.

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    1. Oui, je me souviens de ton avis sur Dans la forêt. Cette idéalisation ne m’avait pas frappée à la lecture, mais je vois bien ce que tu veux dire. Rien de tel ici, et du coup, c’est plus vraisemblable.

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  5. Je suis un peu plus mitigée que toi… mais je pense que le Nature Writing n’est pas mon trip. Par contre, le huis-clos et le chacun pour soi sont tout de même venus me chercher.

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    1. Je n’étais pas encore lassée des romans plus ou moins post-apocalyptiques… En ce moment, il ne faudrait pas m’en proposer, je ne sais pourquoi..

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