Ayelet Gundar-Goshen, Réveiller les lions

reveillerleslionsRentrée littéraire 2017 (7)
« Un homme est mort qui semble ne rien avoir laissé derrière lui, or c’est faux : il a laissé à sa femme une chaise, un paysage et un cours d’eau asséché. Quand on y pense, ce n’est pas rien. »
La nuit, les dunes aux alentours de Beer-Sheva… le neurochirurgien Ethan Green, dont le nom laisse croire qu’il sort de la série Urgences (mais il n’en est rien), renverse un homme et le laisse mourant au bord de la route. Tout ce qu’il pense à cet instant, ou ne pense pas, ses sensations brutes, sont détaillés. C’est le début d’un engrenage qui va l’amener à passer de plus en plus de temps à soigner clandestinement des malades dans un camp de réfugiés, en plus de son travail. Sa femme a beau s’inquiéter de ses absences nombreuses, il ne peut plus se dépêtrer de son acte, et des mensonges qui ont suivi. D’autant que son épouse Liath est le lieutenant de police qui mène l’enquête sur le délit de fuite.

« Comme il lui en veut à présent. À sacraliser ainsi le bon côté de la personnalité de son mari, elle avait, sans le vouloir, occulté le mauvais, poussé sous le tapis tout ce qui ne cadrait pas avec ses valeurs, avec l’homme qu’elle voulait voir en lui. »

Autour de cette situation inextricable, l’auteure israélienne brode avec virtuosité sur les thèmes de la culpabilité, de la confiance, de la paternité, de la manière dont chacun perçoit l’autre dans un couple, des choix qu’on fait dans sa vie, du respect de soi opposé à celui que les autres vous portent, peut-être pas pour de bonnes raisons…
Elle pose des mots sur des sentiments de manière claire et fluide. S’y greffent aussi des réflexions sur la différence, le racisme, surtout celui qui, bien enfoui au fond de personnes pourtant bien pensantes, fait qu’ils trouvent que les Bédouins « se ressemblent tous ». Les différentes communautés qui cohabitent dans cette région désertique, les israéliens blancs, les bédouins habitants du désert et les réfugiés érythréens, n’échappent en effet pas aux tensions raciales.

 

« Car on a tous besoin d’un endroit au monde où il n’y a ni questions ni doutes. Sinon, c’est vraiment trop triste. »
J’ai trouvé une voix neuve, singulière, dans l’écriture de Ayelet Gundar-Goshen. Elle a déjà publié un roman en France, que je n’ai pas encore lu, mais nul doute que je me pencherai dessus un de ces jours. L’enchaînement infernal de circonstances qui font approcher ce roman psychologique du thriller lui donne un petit air du Secret du mari de Liane Moriarty, en beaucoup plus fouillé en terme d’introspection. Seuls les lecteurs qui n’aiment pas l’approche psychologique dans les romans n’y trouveront pas leur compte.

Réveiller les lions d’Ayelet Gundar-Goshen (paru en Israël en 2014) éditions des Presses de la Cité (août 2017) traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz, 416 pages

L’avis de Cuné.

 

 

33 commentaires sur « Ayelet Gundar-Goshen, Réveiller les lions »

  1. Mille fois noté, j’aime tout ce que tu écris (tu sais ça me fait penser à Confiteor où un ancien nazi passe le reste de sa vie dans un camp en Afrique je crois à apporter des soins à ceux qui n’ont vraiment plus rien, comme une rédemption d’un acte de toutes manières impardonnable et irrattrapable), et ce titre est superbe.
    D’autant qu’en terme de littérature israélienne, j’ai beau chercher, je pense que je suis profondément novice.
    (encore un roman de cette RL qui passe un peu inaperçu non ?)

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    1. C’est vrai que ce roman passe un peu inaperçu, au moins, cela donne l’avantage de ne pas en savoir trop quand on le commence. J’ai lu deux articles (dans Lire et Page des libraires, je crois) qui en disaient pas mal plus, et je trouve toujours cela un peu dommage. S’agit-il ici d’une rédemption ou d’autre chose, je ne vais pas le dire, par exemple… 🙂

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    1. Je pensais à toi en mettant cette restriction, tu dis souvent ne pas aimer l’approche psychologique dans les romans… et d’autres sont sans doute dans le même cas.

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    1. Il n’y a pas lieu d’avoir peur, c’est bien écrit et ça se lit bien. Le dépaysement est réel, mais l’adaptation du lecteur se fait rapidement, je trouve.

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  2. j’ai lu le premier, sur lequel j’ai un avis mitigé (un petit côté vieillot, style conte yiddish du shtetl…)…je ne savais pas qu’elle en avait sorti un 2e ! celui ci semble très différent…je me laisserai tenter!

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  3. Aaah voilà qui tente grandement. Tu sembles avoir mis la main sur une petite pépite israélienne et comme je n’ai pas grand-chose dans mon rayon de ce côté-là, ça m’intéresse énormément.

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