Elisa Shua Dusapin, Hiver à Sokcho

 hiverasokcho« La porte n’était pas complètement fermée. En collant ma joue contre l’embrasure, j’ai vu sa main courir sur une feuille. Il l’avait posée sur un carton, sur ses genoux. Entre ses doigts, le crayon cherchait son chemin, avançait, reculait, hésitait, reprenait son investigation. »
L’automne dernier, j’avais repéré, sur différents blogs ou publications, ce petit roman d’une jeune auteure suisse, pour son intrigue qui se déroule en Corée, et par ce qu’on disait de la délicatesse du texte.
L’histoire, toute légère, tient en peu de mots : une jeune femme franco-coréenne, employée dans un hôtel de la ville portuaire de Sokcho fait la connaissance d’un client français, et découvre qu’il est auteur de bandes dessinées. Aucun des deux n’est très bavard, ni très entreprenant, l’hiver dans cette région frontière avec la Corée du Nord ne prête peut-être guère aux rapprochements, seulement aux rencontres qui n’en sont pas vraiment.
La jeune femme, qui est aussi la narratrice, accompagne Yan Kerrand, c’est le nom du dessinateur, jusqu’à un observatoire qui surplombe le no man’s land entre les deux Corée, dans un parc naturel, va manger quelquefois avec lui. La narration est très délicate, imagée, par moments pleine de sensibilité, à d’autres un peu plus froide, comme le temps à Sokcho. Le lieu est de ceux qui font rêver tout en étant somme toute assez peu prédestinés à plaire, assez peu touristiques.

« Du beige et du gris à perte de vue. Roseaux. Marécages. Il fallait rouler deux kilomètres pour atteindre l’observatoire. Un convoi armé nous a escortés avant de bifurquer. Nous étions seul sur la route. Elle s’est mise à serpenter entre des fosses remplies de neige. »
A la fin du roman, j’ai presque l’impression d’avoir lu une bande dessinée, tant les petites touches qui montrent le paysage de Sokcho, les personnages ou les situations, parlent à l’imagination. J’entrevois fort bien cette histoire transposée dans des cases, à l’encre de Chine noire. Je devine le trait léger pour les détails sur la neige dans les montagnes, lourd pour les vagues qui manquent de geler en s’écrasant sur la côte lors des longues nuits glaciales, suggestif pour les scènes à l’intérieur des chambres de l’hôtel. Le sujet de la langue est lui aussi amené de manière intéressante, les deux jeunes gens s’expriment en anglais, alors que la jeune femme a étudié le français, et il en résulte entre eux une certaine distance.
Le rapport à la mère et à l’alimentation de la jeune coréenne, son rapport au corps en général, sont assez particuliers, mettent un peu mal à l’aise, quant aux plats concoctés dans les cuisines, on peut pas dire que la description des préparations mette toujours l’eau à la bouche.
Ces quelques points de détail mis à part, ce roman m’a beaucoup plu, il est à lire en prenant son temps, aucune phrase n’y est inutile, aucun mot mal employé, aucune image superflue. Cette jeune auteure sera sans nul doute à suivre dans les années à venir !


Hiver à Sokcho, d’Elisa Shua Dusapin, éditions Zoé (août 2016) 140 pages, prix Robert Walser 2016.

Les avis de Aifelle, Cécile, Jérôme, Lewerentz, Moka, Noukette et Sabine.

Lire le monde passe par la Suisse !

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28 commentaires sur « Elisa Shua Dusapin, Hiver à Sokcho »

  1. Comme je l’écris sur le groupe, je pense que l’auteur vit en Suisse mais qu’elle est franco-coréenne.
    J’ai lu ce roman car, par hasard, ma fille qui vit en Corée m’a envoyé il y a quelques mois des photos de la plage de Sokcho qui est une destination très prisée (en été). Ça a tout de suite fait tilt avec le titre de ce roman. Qui au final ne m’a pas beaucoup passionnée, trop impressionniste pour moi, je pense…

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    1. J’ai regardé des vues de Sokcho, qui semble en effet plutôt un joli coin (et touristique). J’ai bien aimé justement ce côté « par petites touches » du roman, il me fait penser (sans doute à cause du personnage masculin) à certaines BD intimistes, où tout est dans l’atmosphère.

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  2. J’aime bien les éditions Zoe, qui nous font voyager tout en nous permettant, souvent, de découvrir des « classiques » européens méconnus des lecteurs français (je pense notamment a « L’élève Gerber » de l’autrichien Torberg, et j’ai récemment commandé « Pepita Jimenez » de l’espagnol Juan Valera, que je n’ai pas encore lu. Les avis un peu contradictoires sur ce titre me donnent bien envie de le découvrir, et ce n’est pas si souvent que nos lectures nous font partir en Corée…

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    1. Ce doit être ma deuxième lecture de cette maison d’éditions : « Les étoiles s’éteignent à l’aube » du canadien Richard Wagamese était le premier et un coup de coeur ! Je vais regarder de plus près ce qu’ils publient d’autre.

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  3. Ah, je l’avais repéré aussi l’année dernière mais je n’ai pas encore réussi à le caser, et pourtant la thématique Pays me parle énormément, et j’aime beaucoup les éditions Zoé aussi donc normalement, tout devrait me plaire là-dedans…

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  4. Alors moi l’an dernier j’étais bien passée à cote vu que je tentais de me sortir de la corvée de linge qui me semblait interminable (entre autres) du coup ton billet me tente vraiment beaucoup Et pour moi ce sera une totale découverte , Je n’en avais pas du tout entendu parler (j’aime ce que tu dis des petites touches impressionnistes qui fondent l’atmosphère , en général j’y suis sensible )
    Noté donc

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    1. ça me fait plaisir de le faire découvrir au moins à une lectrice ! Tu peux le noter, j’imagine que tu préfères aussi des livres pas trop longs à des pavés… compte tenu de tes contraintes.

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