Antoine Choplin, Une forêt d’arbres creux

foretdarbrescreuxL’auteur
Après avoir lu plusieurs romans d’Antoine Choplin, force est de constater des thèmes récurrents, mais loin de moi l’idée de trouver cela critiquable ou contraire à mon goût. On y retrouve souvent en effet des humbles, des anonymes ou presque, soumis à la tourmente d’une guerre, d’une situation de crise, et qui, tout en douceur, tracent leur chemin d’hommes droits dans l’adversité. On retrouve aussi le thème de l’art, le jeune homme qui dessine des hérons à Guernica, les tableaux sauvés du Louvre dans Radeau, les dessinateurs du ghetto de Terezin dans ce dernier roman.

Le ghetto, permanence de la multitude. On ne sait pas à quel point, en se hissant dans les wagons qui vous transporteront jusqu’ici, disparaît pour de bon la possibilité de la solitude.
J’avoue qu’avant d’avoir entendu parler de ce livre, Terezin était pour moi un camp d’extermination, et les ghettos des quartiers fermés de grandes villes. Ce n’est pas tout à fait exact. Terezin était une forteresse conçue dans le genre de celles de Vauban. Les nazis y ont installé un camp de transit et un ghetto où furent déportés plus de 140000 juifs. Certains y sont morts de malnutrition et de maladies, d’autres en sont partis vers Auschwitz et d’autres camps, très peu y ont survécu.

Lorsque Bedrich, ayant rejoint son dortoir, se faufile entre les châlits, il lui semble souvent entrevoir le maigre éclat d’yeux écarquillés. De ceux qui peinent à trouver le sommeil, et qu’il imagine, sa propre fatigue aidant, occupés à épier ses faits et gestes, il craindra toujours, à cet instant incongru de la nuit, la question chuchotée, inquisitrice.
Parmi eux, Bredich Fritta, arrivé dans le ghetto en 1941 avec sa femme et son jeune fils âgé d’un an. C’était un dessinateur et caricaturiste tchèque, et il fut chargé d’un service de dessins techniques au sein du ghetto. Avec une quinzaine d’autres, il devait projeter des améliorations architecturales pour Terezin, dessiner sur ordre des bâtiments aux fonctions terribles.
Bedrich et ses collègues avaient toutefois, malgré la faim, la peur et la fatigue, réussi à se ménager un moment de paix nocturne où ils dessinaient pour témoigner de ce qui se passait dans le camp. Ces dessins compromettants étaient soigneusement cachés, ce qui a permis que quelques-uns parviennent jusqu’à nous.

Leo lui fait signe de se tenir immobile quelques instants encore. Il dessine maintenant par petites touches, estompant parfois ce qu’il vient de tracer du tranchant de sa main.
L’auteur raconte avec beaucoup de délicatesse et de retenue le travail sous le joug des allemands, les moments difficiles dans les dortoirs surpeuplés, les rares moments de retrouvailles en famille, les exactions à l’encontre des rebelles ou des plus faibles, la fin prévisible et tragique. Comme dans Le héron de Guernica ou les autres romans de l’auteur, je me suis laissé prendre à son écriture, à sa manière de dire les pires choses sans forcer le trait, ou appeler à tout prix l’émotion. J’ai apprécié cet équilibre qu’il a réussi à atteindre, et me suis intéressée au destin des dessinateurs Bedrich Fritta et Léo Haas, évoqués dans ce roman.

L’éditeur
Ce mois-ci, l’éditeur du mois est La Fosse aux Ours, éditeur situé à Lyon depuis 1997. On remarque dans son catalogue des romans traduits de nos voisins italiens, Mario Rigoni Stern, Beppe Fenoglio ou d’autres. En littérature française, les plus connus et sans doute les plus vendus sont Antoine Choplin, Philippe Fusaro et récemment Jacky Schwartzmann.

Sur ce blog, du même auteur : La nuit tombée et Radeau. De Philippe Fusaro, Palermo solo et L’Italie si j’y suis. D’autres livres ici et .
Ici, l’avis de Sandrine

et le site Un mois, un éditeur.
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38 commentaires sur « Antoine Choplin, Une forêt d’arbres creux »

  1. Eh bien, nous avons donc publié le même jour sur le même texte sans nous concerter… Ton ressenti est cependant plus positif que le mien car je suis un peu restée extérieure à ce texte…

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    1. Je voulais le publier demain, mais j’ai trouvé le sujet trop tragique pour un dimanche matin. (oui, c’est bizarre, je sais…) Bref, j’aime le style sobre, minimaliste ou tout ce qu’on veut, de l’auteur. Je préfère ça, même, et si cela oblige à un peu de recherche documentaire en plus, ça ne me gêne pas.

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  2. Je connaissais ce camp si spécial, et déjà cet auteur pour « L’incendie » donc je sais que je lirai ce roman un jour. Comme toi j’aime le style de cet écrivain.

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  3. Je ne connais pas encore Antoine Choplin, mais ce livre a l’air très intéressant. J’avais d’ailleurs hésité à le choisir pour Un mois, un éditeur, mais c’est l’envie de littérature étrangère qui m’en a détournée,. Maintenant avant de l’ajouter à mon interminable liste à lire, je vais quand même aller lire l’avis de Sandrine puisqu’on a la chance d’avoir 2 billets en même temps !

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  4. Ton ressenti est plus proche du mien que celui de Sandrine. J’aime aussi ce minimalisme d’Antoine Choplin et tout ce qu’il y a entre les lignes. Je viens de terminer un roman plus ancien où le personnage central est peintre …

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  5. merci pour cette chronique, j’avais été très touchée par le livre d’un auteur dont j’apprécie énormément la sobriété et j’avoue qu’il a été difficile d’enchaîner aussitôt sur une autre lecture. J’ai voulu l’offrir en poche mais déception, aucun des dessins faits par Bedrich dans cette édition, ce qui enlève tout de même beaucoup au livre.

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    1. Merci pour ce retour. Dans la version que j’ai lue, il n’y a qu’une illustration en couverture, j’aurais aimé aussi en avoir plus. Une petite recherche sur internet m’a permis d’en voir plus.

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