Evan S. Connell, Mrs. Bridge

mrsbridgeMrs Bridge a été écrit après la deuxième guerre mondiale, mais de petits détails montrent que les premières années du mariage de Mrs Bridge se situent plutôt dans les années 20 ou 30. India Bridge… « Lorsqu’ils l’avaient appelée India, ses parents devaient certainement penser à quelqu’un d’autre. A moins qu’ils ne se soient attendus à avoir une enfant toute différente. » L’enfance d’India est expédiée en quelques lignes, et à la deuxième page, elle devient Mrs Bridge, l’épouse d’un jeune avocat prometteur. Les naissances des enfants suivent, Mrs Bridge tente de leur donner la meilleure éducation, tout comme elle essaye d’être une femme au foyer accomplie et une épouse parfaite.
Ce roman dégage un petit parfum des années cinquante, et écrit dans un style sobre qui reste frais et inhabituel, il évoque les romans de Richard Yates. Les petits moments de la vie sont présentés sur le même plan que les grands, ce qui dessine par touches infimes le tempérament de Mrs. Bridge, jusqu’à lui donner bien plus de vérité qu’en assenant de grands discours sur ses traits de caractère. C’est un portrait qui ne manque pas d’humour, et bien des situations, les dialogues avec ses enfants, les sorties de Mrs Bridge, ses lectures, les relations de soirées mondaines à l’échelle de la petite ville, ou une sortie au centre commercial, sont tout à fait savoureuses… Elle est facilement déstabilisée, cette gentille, Mrs Bridge, et perplexe. Au fil des pages, Mrs Bridges prend de l’âge, ses enfants s’éloignent.
Tout est raconté de son point de vue à elle, à son échelle, et l’entrée des allemands en Pologne tient la même place que l’arrivée de nouveaux voisins. Les tourments feutrés de Mrs Bridge sont décrits avec une forme d’ironie délicate qui serre parfois la gorge, et on s’étonne d’éprouver de une empathie, qui n’a rien d’une identification, pour quelqu’un qui n’a finalement aucun souci dans la vie, « tout pour être heureuse », et qui pourtant se sent si mal à l’idée d’être peut-être, sans doute, passée à côté de sa vie. Une très belle découverte !

Extrait : Elle se rappelait leurs rêves de jadis, les plans d’avenir qu’il faisait et qu’elle écoutait d’une oreille un peu distraite (un sourire se dessina sur ses lèvres), le peu de cas qu’elle faisait de ses propres ambitions, parce que la seule chose qui l’intéressait alors vraiment, c’était lui. Il lui suffisait.

L’auteur : Evan S. Connell est né en 1924 à Kansas City. En 1943, il interrompt ses études de médecine pour s’engager et devenir pilote. En 1959, il publie son premier roman, Mrs. Bridge, qui remporte un grand succès. Après un autre roman et un recueil de poèmes, il publie Mr. Bridge en 1969, ce roman connaît lui aussi un très grand succès. En 1990, les deux romans sont adaptés au cinéma par James Ivory avec Paul Newman et Joanne Woodward.
Malgré tout, Evan Connell reste peu connu, et vit de petits métiers. En 2009, il est nommé au Man Booker Prize pour l’ensemble de son œuvre. Evan Connell est décédé en 2013.
360 pages
Éditeur : Belfond (2016) collection Vintage
Première publication en 1959
Traduction : Clément Leclerc

30 commentaires sur « Evan S. Connell, Mrs. Bridge »

    1. J’ai craint aussi de m’ennuyer, mais non, c’est très bien écrit, et grâce aux chapitres courts qui finissent avant qu’on ait pu ressentir une longueur, cela n’arrive pas.

      J’aime

  1. Bonne idée de faire (re)découvrir les classiques et les auteurs pas très connus, après l’avoir lu, je serai assez tentée de découvrir un jour « Mr Bridge » ainsi que l’adaptation des deux romans.

    J’aime

  2. C’est très beau ce avec quoi tu conclus : avoir tout pour être heureux, mais avoir le sentiment d’être malgré tout passé à côté de sa vie. Quelque part, on se demande si la femme au foyer des années 40-50 avait le loisir de se poser ce genre de question. J’adore l’extrait sur son prénom.

    J’aime

    1. Elle se la pose à peine, la question, ça l’effleure toutefois… c’est très bien fait.
      Pas étonnant que l’extrait sur le prénom t’ait parlé ! Je crois pouvoir dire sans me tromper que ta petite troisième ne se prénommera pas India ! 😉

      J’aime

  3. Une collection que je ne connais pas, un livre dont je n’ai jamais attendu parler … Une adaptation d’Ivory qui m’a complètement échappée. Bon, ben j’ai du boulot là ! Merci du conseil en tout cas, cette note donne envie de découvrir tout cela !

    J’aime

Répondre à accalia Annuler la réponse.