Laird Hunt, Neverhome

neverhome« Le monde a tant de visages. » Constance, partie faire la guerre, en 1864 sous le drapeau de l’Union, fait cette constatation. Elle qui a eu l’audace de prendre la place de son homme, Bartholomew, plus doux, plus faible, moins bon tireur. Sous le nom d’Ash Thompson, un chapeau enfoncé sur les yeux, elle se présente dans un régiment de l’état voisin.
Les deux premiers chapitres remplissent déjà rempli les yeux d’étoiles tellement ils sont pleins, ronds et solides, comme il se doit pour un roman qui commence fort et bien.
Et la petite musique qui se lève ne me lâche plus jusqu’à la fin du roman. Très vite, la question ne se pose plus de savoir si Constance va être découverte, ou si elle va résister à cette succession d’épisodes traumatisants, tant le charme des mots est puissant.
Je copierais d’ailleurs bien volontiers seulement des citations, pour laisser ce texte magnifique parler. L’auteur réussit à donner un rythme hypnotique aux phrases, et plus encore à l’ensemble du texte, à coups de chapitres brefs, d’une force peu commune, sans oublier les nécessaires instants de soulagement. Au plus fort de la bataille ou lorsqu’elle doit traverser des champs de cadavres, Ash se remémore le parfum du carré de menthe de son jardin ou les jours où elle rasait son mari, et cette belle histoire d’amour, qui ne se contente pas de rester à l’arrière-plan, est une respiration aussi pour le lecteur.
La nature intacte, la terre natale, le passé reviennent aussi hanter la jeune femme. Au fur et à mesure du temps passé dans des lieux inhospitaliers, et des séquelles laissées par les combats et les rencontres infâmes, la question du retour possible, ou impossible, devient centrale et lancinante…
Je vous souhaite simplement de croiser la route de ce superbe roman auquel je ne rends pas forcément service avec ce billet désordonné.

Citations : On ne peut jamais savoir quand le monde déjà mort va vous revenir. Juste qu’il finira par revenir. Ma mère aimait bien me dire ça.

À manger de la terre vous faites d’étranges rêves. Des rêves de retour chez vous, des rêves dans lesquels vous essayer de traverser votre propre champ fraîchement labouré mais en vain ; dans lesquels, enfin rentré, vous essayez d’ouvrir le loquet de votre propre porte sans parvenir à la faire bouger d’un pouce. À manger du ragoût d’écureuil divinement préparé que vous envoie votre colonel, nul rêve ne vous vient. C’est ce dont je fis l’expérience.

La terre sous mon corps semblait lourde. Comme si elle pouvait se mettre à chuchoter. Chuchoter quelque secret. Je m’endormis et rêvait que le monde était arrivé à sa fin.

Rentrée littéraire 2015
L’auteur :
Laird Hunt a vécu à Singapour, Tokyo, Londres, Paris, La Haye, New York, et dans une ferme de l’Indiana. Il a travaillé au service de communication des Nations Unies, et enseigne le creative writing à Denver dans le Colorado. Il a déjà publié quatre livres en France. Le dernier paru, Les Bonnes Gens, en 2014, traitait déjà de la mémoire de l’esclavage à travers les récits d’une femme blanche et de deux femmes noires.
258 pages
Éditeur : Actes Sud (septembre 2015)
Traduction : Anne-Laure Tissut

Les avis de Anne et Dasola

Non-challenge des pépites de l’année chez Galéa. (Ce roman est un achat)
logo-non challenge 2015-2016 - copie

Projet 50 états : l’Ohio. (clic pour rendre lisible la carte !)
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47 commentaires sur « Laird Hunt, Neverhome »

    1. Il ne faisait pas partie de mes premières tentations de rentrée, mais Anne en a parlé, et avant de l’avoir lu, elle m’avait déjà donné envie de le découvrir ! 😉

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  1. Il est très bien, ton billet, très sensible ! J’aime beaucoup les extraits que tu as choisis..Je vais me permettre de l’ajouter aussi dans mon petit tour personnel des Etats-Unis, tiens, j’avais un peu hésité sur l’état précis.

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    1. Je n’avais que l’embarras du choix pour les extraits, et comme il s’était passé quelques semaines, chaque extrait m’a fait relire deux ou trois pages… Pour l’Ohio, j’ai un peu hésité aussi, mais la plus grande partie de son périple s’y déroule.

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  2. Ping: Neverhome |
    1. Plusieurs centaines de femmes s’étaient, pour des raisons diverses, engagées dans la guerre de Sécession. Elles étaient noires ou blanches, nordistes ou sudistes, cachées sous des vêtements d’hommes… C’est vrai que c’est étonnant.

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  3. Vous en parlez vraiment bien.Ce fut mon deuxième coup de cœur de la rentrée avec Chalandon. Je suis entrain de lire ce qui sera sûrement le troisième (et peut être le plus gros) Illska, waouh quelle lecture.

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  4. Merci d’en rajouter une couche… et de me rappeler à la mémoire ce roman qui patiente dans ma PAL.
    Pour prolonger la guerre de session t’intéresse, n’hésite pas à enchaîner avec WIlderness, de Lance Weller (qui figure dans ta liste 50 états/Oregon) que j’avais trouvé somptueux.

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    1. S’il patiente dans ta PAL, tu as une belle lecture en perspective. Hé hé, je note le conseil, au cas où je voudrais retourner rapidement à l’époque de la guerre de Sécession…

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  5. Je ne connais pas cette auteure, j’aime beaucoup ce qui tu en dis = tentation X 2, mais à lire les citations, je me demande si ce style n’est pas un peu trop lyrique pour moi, c’est très beau, hein, c’est sûr, mais j’ai du mal avec les envolées poétiques …

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    1. Je ne suis pas non plus fan des envolées poétiques… enfin, j’en aime certaines et d’autres, non ! La seule manière de savoir est de lire le roman. Et sinon, Laird est un prénom (pseudo ?) masculin ! 🙂

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  6. Je suis passée complètement à côté de Les bonnes gens; je n’ai pas pu le terminer (à cause du style justement) alors je pense que celui-ci risque de ne pas me plaire (pourtant les extraits choisis me plaisent et le thème aussi)

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    1. Je fais partie de ceux rares il semble qui n’aiment ni l’écriture ni l’histoire Il y a eu déjà plusieurs romans sur ce sujet mieux écrits; Je persiste à douter de toutes ces critiques dithyrambiques!

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      1. Que voulez-vous dire par « douter de toutes ces critiques dithyrambiques » ? J’ai vraiment aimé ce roman, et apprécié de bout en bout et l’écriture et l’histoire. Tout le monde n’aime pas les mêmes livres, et heureusement, d’ailleurs !

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  7. J’avais déjà noté « Lady Hunt » dans un coin de ma mémoire sans jamais l’emprunter à la bibliothèque (où pourtant, il me fait de l’œil régulièrement). Ton billet est tellement tentateur que je vais peut-être finalement craquer pour celui-ci avant 🙂

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  8. Les critiques sur les Bonnes Gens ne m’avaient pas donné envie de le lire, celui-là nettement plus (une femme qui prend le fusil à la place de son mari, il y a vraiment quelque chose d’improbable), tu es rarement aussi enthousiaste. Il est noté

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