Pierre Lemaître, Au revoir, là-haut

au-revoir-la-hautL’auteur : Né à Paris en 1951, Pierre Lemaître a beaucoup enseigné aux adultes, notamment les littératures française et américaine, l’analyse littéraire et la culture générale. Il est aujourd’hui écrivain et scénariste. Son premier roman, Travail soigné, a obtenu le Prix Cognac en 2006. Il publie ensuite Alex, Robe de marié, Cadres noirs, Sacrifices, Les grands moyens… En 2013, Au revoir là haut est récompensé par le Prix Goncourt.
576 pages
Editeur : Albin Michel (2013)

Tout commence par une scène de guerre, un assaut mené en direction des lignes allemandes dans les derniers jours du conflit. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les poilus ne sont pas enthousiastes à l’idée de tenter une percée, alors que les bruits d’un armistice proche parcourent les tranchées. Mais le lieutenant Pradelle l’entend autrement, un acte de bravoure (par procuration) lui conviendrait bien avant la probable démobilisation. Albert, dans cette scène mémorable où les obus pleuvent, aurait perdu la vie enfoui dans un cratère, sans le secours de dernière seconde d’Edouard, un de ses camarades. Albert s’en trouve redevable à Edouard, et lorsque celui-ci est défiguré par un éclat d’obus, le brave Albert le prend en charge. Edouard a d’autant plus besoin de soutien qu’il refuse absolument de retourner auprès de sa famille, pour des raisons qu’Albert devinera petit à petit. Tout deux et Pradelle auront l’occasion de se revoir… Mais ce n’est pas de là que vient le titre, mais des derniers mots écrits par un certain Jean Blanchard en 1914 :
Je te donne rendez-vous au ciel où j’espère que Dieu nous réunira.
Au revoir là-haut, ma chère épouse…
Derniers mots écrits par Jean Blanchard,
Le 4 décembre 1914


Le roman s’ouvre sur une bataille qui a la double qualité d’être très visuelle et de présenter les personnages principaux. On craint à l’issue de cette longue scène que le propos soit un poil manichéen, Pradelle étant tout noir, Albert tout blanc, mais la suite prouve que la nuance est aussi au programme.
Je suis rentrée facilement dans cette histoire, et l’ai lue sans ennui, trouvant un souffle et une envergure que je n’attendais pas. Je savais en effet que le sujet en était les escroqueries, aux cercueils, aux monuments aux morts, dans l’après-guerre. C’est cela, mais il est aussi question des gueules cassées,des hôpitaux, du retour des simples soldats qui se retrouvent seuls, sans travail, dont la pension tarde à arriver, des difficiles retrouvailles avec la vie civile… Tant il est vrai qu’ « A la guerre, on veut des morts franches, héroïques et définitives, c’est pour cette raison que les blessés, on les supporte, mais qu’au fond, on ne les aime pas. »
Et puis le tout est au milieu d’une formidable histoire de famille, d’amour, d’argent, de mort, de vengeance, et mon plaisir de lecture me rappelait la découverte du Comte de Monte-Cristo ! Les personnages sont attachants, ou crispants, c’est selon, mais très bien décrits, avec une grande finesse. Le style est clair et agréable, pas dénué d’humour. Bref, vous ne m’avez sans doute pas attendue pour vous faire un avis sur ce roman dont on a beaucoup entendu parler, mais sachez que je le recommande !


Extrait :
Pour remplir cette mission de reconnaissance, le lieutenant Pradelle choisit Louis Thérieux et Gaston Grisonnier, difficile de dire pourquoi, un jeune et un vieux, peut-être l’alliance de la vigueur et de l’expérience. En tout cas, des qualités inutiles parce que tous deux survécurent moins d’une demi-heure à leur désignation. Normalement, ils n’avaient pas à s’avancer très loin. Ils devaient longer une ligne nord-est, sur, quoi, deux cents mètres, donner quelques coups de cisaille, ramper ensuite jusqu’à la seconde rangée de barbelés, jeter un oeil et s’en revenir en disant que tout allait bien, vu qu’on était certain qu’il n’y avait rien à voir. Les deux soldats n’étaient d’ailleurs pas inquiets d’approcher ainsi de l’ennemi. Vu le statu quo des derniers jours, même s’ils les apercevaient, les Boches les laisseraient regarder et s’en retourner, ça serait comme une sorte de distraction. Sauf qu’au moment où ils avançaient, courbés le plus bas possible, les deux observateurs se firent tirer comme des lapins. Il y eut le bruit des balles, trois, puis un grand silence; pour l’ennemi, l’affaire était réglée. On essaya aussitôt de les voir, mais comme ils étaient partis côté nord, on ne repérait pas l’endroit où ils étaient tombés.

Les avis de Cathe, Hélène, Jostein, Sandrine (Tête de lecture), Sandrine (Pages de lecture) Violette.

49 commentaires sur « Pierre Lemaître, Au revoir, là-haut »

  1. Je l’ai encore très bien en tête ce roman-là, certaines scènes en particulier : je crois qu’il me restera. Et puis quoi, il peut aussi y avoir de bons prix Goncourt 😉

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  2. Mon coup de coeur de cette rentrée, indiscutablement. Moi aussi je l’ai encore très en mémoire. Je suis bien contente de l’avoir acheté, j’ai pu le prêter à 3 personnes déjà, qui ont toutes beaucoup aimé.

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  3. J’ai sauté de joie quand j’ai entendu son nom le jour du Goncourt. Je ne suis pas fan de tout ce qu’il écrit en polar (même si j’avais eu un coup de coeur pour Robe de marié) mais là, c’est une belle réussite.

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  4. Encore un billet enthousiaste;
    Oui, le comte de MC, pas mal vu, surtout qu’on est dans le roman populaire, non? (ce n’est pas un reproche)

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  5. sujet qui m’intéresse, mais le prix Goncourt me faisait un petit effet repoussoir, je craignais de tomber dans un style qui ne me plaisait pas… je vais attendre sa sortie en poche, quand même !

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  6. Tu es la première qui me donne vraiment envie de le lire je crois .. je n’avais pas perçu la richesse des thèmes ; mais j’attendrai tranquillement de l’avoir à la bibliothèque.

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  7. Je n’avais pas pensé à Dumas, c’est pourtant cela … Un bon gros roman plein d’aventures et de rebondissements, mais pas que … Il met aussi à jour bien des couleuvres de l’hypocrisie ; on fait des héros avec les morts et on ignore les survivants …. Et en plus, c’est drôle. Comme toi, je me suis régalée !

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  8. Je viens de le terminer et je suis très enthousiaste, d’autant plus qu’il est arrivé après de nombreux romans qui n’arrivaient pas à m’accrocher. Il y a longtemps que je n’avais pas lu un Goncourt avec autant d’intérêt.

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