Conseils de lecture (9) Les invisibles

Depuis que j’ai entendu parler de ce projet de Pierre Rosenvallon, Le parlement des invisibles, cela titille ma curiosité, sous forme d’une évidence : mais bien sûr, comment se fait-il qu’on n’écrive pas plus souvent sur les métiers que l’on croise tous les jours, sur les retraités, sur les chômeurs, sur ceux qui n’ont pas la parole ?
Autant je suis horripilée par les fausses autobiographies absolument inintéressantes de telle ou telle « star » du show-biz (rien que le mot « star » argh !) autant ce projet me semble digne du plus grand intérêt. Et nos dirigeants feraient bien de se pencher dessus aussi ! La présentation sur le site Raconter la vie est parfaite :
Par les voies du livre et d’internet, Raconter la vie a l’ambition de créer l’équivalent d’un Parlement des invisibles pour remédier à la mal-représentation qui ronge le pays.
Il veut répondre au besoin de voir les vies ordinaires racontées, les voix de faible ampleur écoutées, les aspirations quotidiennes prises en compte. En faisant sortir de l’ombre des existences et des lieux, Raconter la vie veut contribuer à rendre plus lisible la société d’aujourd’hui et à aider les individus qui la composent à s’insérer dans une histoire collective.
Pour « raconter la vie » dans toute la diversité des expériences, la collection accueille des écritures et des approches multiples – celles du témoignage, de l’analyse sociologique, de l’enquête journalistique et ethnographique, de la littérature.
Toutes les hiérarchies de « genres » ou de « styles » y sont abolies ; les paroles brutes y sont considérées comme aussi légitimes que les écritures des professionnels de l’écrit.
Raconter la vie est la communauté de ceux qui s’intéressent à la vie des autres.

La sortie aujourd’hui du roman d’Annie Ernaux « Regarde les lumières, mon amour » qui raconte ses sorties et observations au supermarché pendant une année est un excellent moyen de faire se rencontrer ce projet et la littérature, bien que la caution littéraire ne lui soit pas indispensable. Bon, je ne l’ai pas encore lu, je l’avoue, mais l’idée et l’extrait lu me suffisent à lancer cette demande : il existe bien des précédents, des romans réalistes ou des témoignages sur les Invisibles ? (j’aime bien ce mot d’invisibles qui dit exactement tout ce qu’il faut dire)

Je commence la liste avec Annie Ernaux, j’ai pensé aussi au témoignage de Florence Aubenas, Le quai de Ouistreham et à Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne. Côté américain, l’excellent et très original Il vous choisit de Miranda July, qui s’est intéressée à des auteurs de petites annonces, catégorie « objets divers à vendre » (mon billet) Que me suggérez-vous pour continuer ?
regardeleslumièresquaideouistrehamdautresviesquelamienneilsvouschoisit

Votre liste de suggestions :
Clara attaque avec Ripeur de Jeff Sourdin (éboueur de nuit après deux ans d’études supérieures). Elle a lu aussi le livre d’Annie Ernaux.
Gwenaëlle pense aux livres de Thierry Beinstingel Ils désertent et Retour aux mots sauvages.
L’irrégulière propose Je vous emmène au bout de la ligne de Rodolphe Macia et Sophie Adriansen (quotidien d’un conducteur de métro).
ripeurils desertentretourauxmotsjevousemmene
Mango pense à La dentellière de Pascal Lainé et La sagesse de la dentellière de Mylène Salvador.
Aifelle suggère Les tribulations d’un précaire de Iain Levison, où tout est véridique, et une lecture plus ancienne, Elise ou la vraie vie de Claire Etcherelli.
dentellièresagessedentellieretribulationsdunprecaireeliseoula vraieivie
Bonheur du jour recommande Les tribulations d’une caissière d’Anna Sam et La douceur dans l’abîme (enfin, je crois que c’est celui dont tu parles…) de François Bon.
Virgule pense à Suite à un grave incident de voyageur d’Eric Fottorino. Jérôme connaît bien le sujet et cite Chronique des années d’usine de Roberto Piccamiglio et Le journal d’un manœuvre de Thierry Metz.
tribulationsdunecaissieredouceurdanslabimesuiteaungravechroniquesdesannesdusinejournaldunmanoeuvre

Jérôme m’adresse d’autres titres qui semblent très intéressants : La mémoire des vaincus de Michel Ragon, L’agence tout-tafs de Francis Mizio, Quoi de neuf sur la guerre ? de Robert Bober, Travaux de Georges Navel, Petites natures mortes au travail de Yves Pagès.
memoiredesvaincusagencetouttafsquoideneufsurlaguerre?travauxpetitesnatures

Yves note Atelier 62 de Martine Sonnet et Flo, Uniques de Dominique Paravel. Une Comète suggère Les heures souterraines de Delphine de Vigan.
atelier62uniquesheuressouterraines
Un grand merci à tous !


Je vous renvoie aussi au billet de Gwenaëlle que ce projet ne pouvait qu’intéresser, et au site Raconter la vie où vous pourrez lire toutes sortes de récits passionnants déposés par ceux qui veulent sortir un moment de l’invisibilité, et ils font bien !

50 commentaires sur « Conseils de lecture (9) Les invisibles »

  1. Le sujet du dernier roman d’Annie Ernaux m’a carrément fait fuir : un an d’observations dans un supermarché, au secours ! Voilà des années que je n’y mets plus les pieds (vive les drive !) alors m’entendre raconter ce quotidien, très peu pour moi. Désolée 😉

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    1. Je ne lirais pas que ça, mais de temps en temps, une dose de quotidien dans les romans me fait réfléchir un peu… je préfère ça à des articles de magazine sur le même thème.

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  2. Il y a le livre « Rippeur » (travail d’éboueur la nuit) de Jeff Sourdin ( 2 années de fac , l’abandon des études et ce boulot). Tu trouveras le billet sur mon blog.

    @Sandrine : il n’y a pas 365 observations non Annie Ernaux nous livre ses commentaire si justes sur ce lieu, les personnes qui y travaillent , qui y font leurs courses (comme elle) . Il s’agit d’un vrai récit social !

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  3. Rien ne me vient à l’esprit tout de suite, mais si je pense à un titre, je te le redirai. C’est une initiative super-intéressante et on se demande en effet pourquoi on ne l’a pas eue avant. Remarque j’imagine la réflexion des éditeurs : pas assez vendeur …

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  4. Le livre de Sophie Adriansen, Je vous emmène au bout de la ligne (la vie d’un conducteur de métro).
    Pas d’autres idées, ce n’est pas trop le type de sujets qui m’intéressent !

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  5. Il y a le prix Goncourt de 1974 de Pascal Laîné avec « La dentellière » et un autre sur ce métier, lu il y a déjà 4 ans, de Mylène Salvador: » La sagesse de la Dentellière » . L’auteur en est une elle-même, artiste professionnelle, ce qui est rare désormais!

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    1. Yes, merci, je n’y avais pas pensé ! J’ai assisté à une rencontre avec l’auteur, mais pas discuté en direct comme toi ! (et c’était à propos d’un autre plus romancé)

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  6. Le lien ne fonctionne pas…
    Je me souviens avoir lu le livre écrit par une caissière racontant son métier, mais je ne me souviens plus du titre. Il y a aussi un livre de François Bon qui raconte un atelier d’écriture avec des jeunes sdf.
    Bon week end. Et merci pour ces informations sur ce projet que je trouve très intéressant.

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  7. Je viens de me jeter sur le livre d’annie Ernaux ! Sinon, je n’en ai pas fait de billet, mais j’ai lu récemment l’essai d’Eric Fottorino « suite à un accident grave de voyageur » sur les suicidés des transports en commun. Cela me semble entrer dans ta thématique pour le silence dont on recouvre ces drames.

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  8. Une lecture ancienne « Elise ou la vraie vie » de Claire Etcherelli. La condition ouvrière en toile de fond, avec une histoire d’amour difficile entre une Française et un Algérien, au moment de la guerre d’Algérie. Il y a eu un film avec Marie-Josée Nat.

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  9. Excellente idée d’écrire sur « ces invisibles », je n’ai pas de titres à conseiller, je vais voir, j’ ai le dernier Annie Ernaux, je vais le lire là, je trouve ça passionnant qu’elle est écrit sur un an en supermarché, et il y a beaucoup à dire, je suis pressée de m’y plonger.

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  10. C’est un sujet que j’ai beaucoup creusé pendant mes études, me spécialisant dans ce que Poulaille a qualifié de « littérature prolétarienne ». Michel Ragon en a d’ailleurs fait un dictionnaire très riche.
    Je vais me contenter de te citer deux titres pour l’instant et je peux te préparer une liste plus conséquente si tu veux : « Chronique des années d’usine » de Robert Piccamiglio et « Le journal d’un manœuvre » de Thierry Metz.

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    1. Merci Jérôme, je ne savais pas que nous avions un spécialiste parmi nous ! Je veux bien encore quelques titres qui t’ont marqué, si tu veux. J’ai trouvé sur un site « L’histoire de la littérature prolétarienne » par Michel Ragon, et j’ai vu un autre de ses titres « D’une berge à l’autre » : je comprends le nom de ton blog, tout à coup ! 😉

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      1. Oui je suis fan de Michel Ragon et le titre de mon blog est un hommage à son oeuvre incroyablement dense et diverse.
        Tu peux d’ailleurs rajouter à la liste de titres à conseiller « La mémoire des vaincus » qui traverse le 20ème siècle à travers l’histoire des anarchistes et des syndicats, de la révolution russe aux usines Renault, c’est passionnant et complètement dans ton thème.
        Je te donne quelques autres titres : L’agence tous tafs – F. Mizio (un chômeur très très longue durée) / Quoi de neuf sur la guerre – R. Bober (les petites mains d’un atelier de couture après guerre) / Travaux – G. Navel (un incontournable absolu de la littérature prolétarienne) / Petites natures mortes au travail – Y . Pages.
        Je m’arrête là parce que je suis assez intarissable sur le sujet 😉

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  11. Quelle belle sélection… Et quelle belle idée que tu as eu là avec ces conseils de lectures !! J’ai « D’autres vies que la mienne » dans ma PAL mais il attendra encore un peu, je traverse une période où je n’ai envie que de lectures douces ;0)

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  12. Je pensais n’avoir rien à te proposer tout en sachant très bien que j’avais dû lire au moins un bouquin qui répondait au thème et, lumière, je viens de songer au roman de Dominique Paravel, « Uniques », paru l’an dernier chez Serge Safran. Je recommande.

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      1. Non, pas de billet sur mon blog mais un avis sur Libfly (parmi d’autres), mon pseudo étant « mycupoftea » : http://www.libfly.com/uniques-critiques-livre-1842565-4.html
        Et je me permets d’insister parce que je l’ai lu/entendu trop souvent : ce n’est pas un recueil de nouvelles ! Certes la structure du roman est particulière, mais le focus sur des personnages (qui ne concerne que la première partie sur trois) ressemble autant à des nouvelles que moi à une blonde 😉

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    1. Pour ceux que j’ai lu, pas de nombrilisme, mais des vies de galère, oui. Après, selon les auteurs, ça peut être raconté avec plus ou moins de vivacité. Iain Levison par exemple n’est jamais morose.

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  13. Bonjour kathel moi je te suggère le magnifique  » les heures souterraines  » de delphine de vigan … La violence au travail est parfaitement décrite ainsi que le quotidien d’un médecin.

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Et vous, qu'en pensez-vous ?