Sortie poche (11) : La femme du tigre


femmedutigre_pocheJ’ai aimé et je vous rappelle ce roman !
L’auteur :Téa Obreht est née à Belgrade en 1985. Après avoir vécu à Chypre et en Égypte, elle réside aux États-Unis depuis l’âge de douze ans. Ses textes ont été publiés par le New Yorker et The Atlantic et figurent dans l’anthologie des Best American Short Stories. La Femme du tigre a reçu l’Orange prize.

432 pages
Editeur : 
LGF (6 mars 2013)
Titre original : The tiger’s wife
Traduction :
Marie Boudewyn

Dès les premières pages, j’ai été sensible à la musique des mots. C’est plus ou moins remarquable selon les écritures, là c’est quelque chose qui m’a frappée, un rythme, une scansion qui donne envie de prononcer des paragraphes à voix haute. Le conte n’est jamais très loin, et pourtant le début du roman est bien ancré dans la réalité : Natalia et son amie Zora, médecins toutes deux, passent la frontière pour aller soigner et vacciner des enfants laissés orphelins par la guerre, des enfants « de l’autre camp » d’ailleurs, mais heureusement le conflit est terminé. Les deux jeunes femmes ont pratiquement toujours connu cette ex-Yougoslavie en guerre, et la paix revenue, les remarques concernant l’appartenance à un côté ou l’autre, selon la conviction religieuse, selon la consonnace des noms, fusent encore, montrant que la reconstruction sera longue. L’un des thèmes du roman concerne donc les ravages hérités d’une guerre, surtout s’il s’agit d’un conflit interne, qui n’est jamais vraiment terminé. Un des autres thèmes est la transmission familiale. Au moment même où Natalia attend à la frontière, elle apprend la mort de son grand-père, et ses souvenirs remontent à la surface, de la promenade hebdomadaire avec lui au zoo, aux histoires racontées, comme celle de l’homme-qui-ne-mourra-pas, ou celle du tigre échappé du zoo de la ville.
Le ton est original, sans clichés, l’alternance entre le quotidien de Natalia auprès des enfants malades, ses souvenirs d’enfance et les histoires entendues, est habilement menée. Natalia doit d’abord retrouver les vêtements et effets personnels de son grand-père dans un hôpital presque déserté, car durant les quarante jours de l’âme, les quarante jours après la mort, il faut garder dans la maison ses effets personnels auprès duquel le défunt vient chercher du réconfort. Voici une des croyances qui émaillent le récit, mais la plus belle histoire sera celle de la femme du tigre, celle que Natalia devra aller trouver dans le village de naissance de son grand-père. Elle saura ainsi pourquoi il était à ce point attaché à l’exemplaire du Livre de la Jungle qu’il avait toujours dans sa poche.
L’après-guerre est davantage évoqué que la guerre, qui, correspondant à l’enfance de la narratrice, reste effleurée. Il est intéressant de voir comment la guerre est perçue, du point de vue d’une enfant relativement préservée, mais ce sont surtout les légendes qui font tout le sel de ce roman, et c’est elles que Natalia doit affronter pour entrer dans l’âge adulte. Histoires et superstitions, mythes et souvenirs s’enchaînent, digressent, se rejoignent, se répondent, s’entremêlent à la réalité, au grand émerveillement du lecteur. Les descriptions sont également très belles et très visuelles, les personnages foisonnants.
L’âge ne fait rien à l’affaire, mais imaginer que Tea Obreht n’avait que 25 ans et qu’elle a écrit ce livre, ça force l’admiration, tout de même ! Voilà, j’ai l’impression d’être un peu partie dans tous les sens en évoquant
La femme du tigre, mais je vous recommande de laisser une petite place pour lui sur vos étagères…

Extraits : Notre éloignement du théâtre des combats nous donnait l’impression de mener une vie normale. Cependant, les règles nouvellement instaurées provoquèrent un changement d’attitude que n’avait pas prévu l’administration. Les responsables pensaient : ordre, contrôle, terreur et soumission – ils eurent droit au laisser-aller généralisé et à la folie douce. Sur le capot de voitures stationnées le long du boulevard en une file qui n‘en comptait parfois pas moins d’une dizaine, des adolescents prirent l’habitude de boire toute la nuit au mépris du couvre-feu. Il arrivait à des commerçants de fermer leur boutique à l’heure du déjeuner, d’aller au café et de n’en revenir qu’une semaine plus tard. Un jour qu’on se rendait chez le dentiste, on l’apercevait justement en bras de chemise chez un voisin, une bouteille de vin blanc à la main, alors on se joignait à lui, ou bien on rentrait à la maison.

Peu après apparaissent des maisons : d’abord une ferme inhabitée au toit de tôle, au grenier pourvu de fenêtres qui donnent sur la route. De la vigne vierge a poussé dans le jardin et envahi le haut du verger. Au-delà du tournant, vous serez sans doute surpris de voir un homme au cheveux blancs assis sur le seuil de la maison suivante. Dès qu’il aperçoit votre voiture, il se lève et se dépêche de rentrer chez lui. En fait, il tendait l’oreille au crissement des pneus sur le gravier depuis cinq bonnes minutes et voulait à tout prix que vous le voyiez claquer la porte derrière lui.

8 commentaires sur « Sortie poche (11) : La femme du tigre »

  1. Tiens, il est arrivé par hasard dans ma PAL en anglais, passé par ma mère, je ne savais pas quoi en penser, du coup du me donnes envie 😉

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    1. Désespérant pour moi aussi ! J’avais l’impression de vous avoir bassiné avec ce roman à la rentrée 2011 et personne ne le connaît ! (je sais bien qu’on lit tellement d’avis que si on ne voit pas un livre 3 ou 4 fois, on zappe) 😉

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