Sortie poche (10) : Du domaine des murmures

dudomaine_pocheJe continue le recyclage de mes anciens billets…
L’auteur :
Née en 1966, 
ancienne comédienne, Carole Martinez se recycle dans l’enseignement et devient professeur de français dans un collège d’Issy-les-Moulineaux. Elle profite d’un congé parental en 2005 pour se lancer dans l’écriture. Elle désire écrire « quelque chose qui soit entre le conte et le roman. » Puisant dans les légendes de sa tradition familiale espagnole, elle brode à partir des histoires que sa grand-mère lui racontait. Ce premier roman est un succès et Carole Martinez reçoit le prix Renaudot des lycéens en 2007.
240 pages
Editeur :
Folio (28 février 2013)

L’histoire médiévale m’attire davantage quand elle s’écrit dans les vieilles pierres plutôt que dans les romans, et pourtant la voix d’Esclarmonde m’a touchée et m’a tenu rivée au livre jusqu’à la fin. C’est une toute jeune fille, à qui son père châtelain, qui lui est très attaché, refuse l’entrée au couvent. Il préfère qu’elle se marie avec Lothaire, jeune chevalier belliqueux et arrogant. Esclarmonde ne trouve d’autre solution que de refuser le mariage en demandant à être recluse dans un petit réduit surplombant la chapelle du château. Elle n’en sortira plus jamais, se fera apporter sa nourriture par une imposte à barreaux laissée dans la muraille. Cette expérience peut-être mystique n’augure pas un roman monotone et répétitif. Des évènements dans la nouvelle vie de la jeune fille amènent les serviteurs et villageois à la considérer presque comme une sainte. La recluse voit ainsi défiler de nombreuses personnes en quête de conseil ou d’absolution, sa famille, ses servantes, un archevêque, un marchand de reliques, son « presque mari » qui à son contact a troqué l’épée contre la vièle et le chant courtois… Esclarmonde a aussi des visions qui lui permettent, et le lecteur à sa suite, de partir sur les traces de ses proches partis en croisade, vers Saint-Jean d’Acre.
Et puis le plus inattendu des évènements, miracle pour les uns, fatalité pour les autres, vient bouleverser sa vie incluse entre quatre murs, et déplacer sa quête spirituelle. Pourtant, si des doutes l’assaillent alors, elle ne faillira jamais, ne proférera pas le moindre mensonge pour justifier l’inimaginable. D’autres le feront pour elle.
L’écriture sensible et poétique, la force des personnages, l’atmosphère rude et sombre du Moyen-Âge, la vraisemblance de la peinture historique, la recherche documentaire délicatement fondue dans le conte, la fin superbe, tout ceci concourt à en faire un très beau roman. Pas tout à fait l’émerveillement ressenti pour
Le cœur cousu, mais une belle réussite tout de même.



Extrait à savourer :Jehanne est partie pour Paris à pied avec son maigre baluchon et un ventre déjà rond qu’elle m’avait fait palper depuis la fenestrelle en riant.
Nous étions séparées pour de bon. Elle, en branle de par le monde, ferait des routes sa demeure, elle traverserait le pays, mesurerait la création à l’aune de sa foulée, elle vivrait sous le ciel tel un aubain, travaillerait en chemin, s’arrêtant où Pierre et son père trouveraient de l’ouvrage, elle irait au-delà du grand calvaire qui marquait la fin de cette terre et barrait l’horizon. Sa marche n’aurait plus d’autres bornes que sa fatigue et que celle de ses compagnons et de leurs mules. elle enflerait la vague des marcheurs, ce peuple nomade, composé d’errants, de fugitifs, de jongleurs, de compagnons et de pèlerins. Ceux qui traînaient leur croix, ceux qui coupaient leurs liens, ceux qui marchaient leur rédemption. Et moi, je resterai en ma cellule, contemplant les univers que le Christ me donnerait à voir, immobile, toute à mon voyage vertical, à mon ascension par la prière et chacun saurait où me trouver, comme on sait où trouver un moulin ou une tombe. Elle serait une parole vivante livrée au vent et déjà envolée, et moi un mot lourd gravé dans la pierre.

percevallarecluserieEnluminure : Percival et la recluserie

35 commentaires sur « Sortie poche (10) : Du domaine des murmures »

  1. Pas lu… Mais comme toute l’histoire a été racontée par un journaliste dans un magazine, j’ai perdu l’envie dès le début (il racontait le plus inattendu des événements, et sa cause, tu penses!)

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    1. Tu as remarqué comme j’ai bien tourné autour sans rien en dire… en même temps, il m’est arrivé d’en savoir trop sur un livre et de le savourer, et parfois même davantage !

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  2. Comme toi, j’ai aimé cet étrange voyage médiéval, même si, comme toi aussi, il ne m’a pas autant enchantée que le Coeur Cousu. Carole Martinez est une « grande dame de l’écriture », j’atteste !

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  3. Je ne suis pas sûre d’avoir une préférence pour l’un l’autre, les deux titres de Martinez m’ont également envoûtée … Pour  » Du domaine des murmures », je pense que connaître le mystère, bien dissimulé ici, ne gâche pas la lecture, tant les images évoquées sont belles, et le défilé des personnages secondaires devant la prison d’Esclarmonde rend aussi bien l’idée du conte que du Moyen Age. Une vraie réussite et vivement le troisième ! (mais la dame tisse doucement sa toile, semble-t-il …)

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    1. Pour moi c’était l’écriture et le thème… Une de mes grands-mères était couturière, mais je n’aurais jamais imaginé qu’on puisse « broder » avec autant de virtuosité autour de ce métier !

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  4. Je trouve la couverture trop moderne pour le sujet .. c’est difficile de choisir entre ses deux romans, ils avaient chacun leur charme et leur intérêt. Que va-t’elle nous trouver pour le 3e ?

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    1. D’accord pour la couverture… Pour le troisième, je crois savoir, pour avoir entendu C M en interview, qu’il se déroulera au Domaine des Murmures, mais à une autre époque ; mais cela peut avoir changé depuis ! (c’était il y a un an environ)

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  5. J’ai les deux dans ma PAL et je pense que je vais commencer par celui-ci. Comme cela je garde le meilleur pour la fin (par rapport à la majorité des avis 😀 )
    Bonne journée 🙂

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      1. Je n’avais pas vraiment été convaincue par Le coeur cousu, du coup je n’ai pas lu celui-ci à sa sortie … mais là en poche, pourquoi pas …

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