Per Petterson, Pas facile de voler des chevaux

pasfaciledevolerL’auteur : Avant de commencer à écrire, Per Petterson travaille durant plusieurs années comme ouvrier agricole, puis comme libraire et traducteur. En 1987, il publie un premier recueil de petites histoires non traduites en français. Les lecteurs français le découvrent lorsque les éditions Circé publient Jusqu’en Sibérie en 2002, puis Dans le sillage en 2005. En 2003, Pas facile de voler des chevaux obtient un très grand succès en Norvège, Allemagne et Grande-Bretagne et reçoit deux prix littéraires importants en Scandinavie. Il est traduit et édité par Gallimard en 2006, suivi de Maudit soit le fleuve du temps en 2010. Per Petterson vit dans un petit village norvégien isolé.
256 pages
Editeur :
Gallimard (2006) Existe en poche.
Traduction : Terje Sinding
Titre original :
Ut og stjaele hester

Pour un livre tiré de mes étagères (je n’ai pas dit de ma pile à lire, puisque ce n’est pas pour moi qu’il avait été acheté !), c’est une très bonne pioche, et je suis étonnée de ne pas l’avoir lu avant. Cet auteur apparaît d’abord un peu comme l’équivalent masculin d’Herbjorg Wassmo, entre grands paysages et sombres histoires de famille. Mais le paysage est différent, une région forestière du sud de la Norvège, proche de la frontière suédoise, et si l’histoire est imprégnée du sens de la famille, il ne faut pas y chercher d’aussi lourds secrets qu’avec son homologue des îles Lofoten. Quoique…
Le narrateur, un homme dans la soixantaine, vient de s’installer dans une maison isolée au milieu des bois pour y passer l’hiver. Cet endroit lui rappelle celui où il passait son enfance, notamment l’été de ses quinze ans, en 1948, où tout devait changer, entre amitiés adolescentes, premiers émois et surtout, au centre du roman, les relations entre père et fils. En effet, pour ces quelques semaines, sa mère et sa sœur étaient restées en ville et le jeune homme se sentait plus proche de son père, s’intéressait de plus près aux événements survenus quelques années plus tôt, pendant la guerre. Par courts tableaux, il évoque cet été, dont le souvenir est ravivé lorsqu’il fait connaissance de son voisin le plus proche, un homme un peu plus jeune que lui, qu’il reconnaît pour l’avoir côtoyé lors de ce fameux été.
Plein de sensibilité, le roman décrit d’une aussi belle manière la dérive des sentiments que des scènes forestières comme le flottage du bois sur la rivière. J’ai été touchée et emportée tout du long, alors que je craignais les sempiternels souvenirs d’enfance un peu mièvres. L’écriture comme la construction sont sobres, elliptiques. De très beaux passages m’ont enchantée, et une des rares fois où je commençais à trouver que les effets étaient un peu soulignés, tels une musique de film qui en rajoute sur l’image, l’auteur fait justement allusion à un film dont la grande scène change le destin du personnage, et il est le premier à s’en agacer. Comme dans la vie, le narrateur n’aura pas forcément une réponse précise à toutes les questions qui le taraudent, mais il sortira sans doute un peu différent de cette plongée dans ses souvenirs.

Extrait : Début novembre. Il est neuf heures. Les mésanges viennent se cogner à la fenêtre. Un peu assommées, il leur arrive de reprendre leur vol, mais parfois elles tombent et se débattent un moment dans la neige fraîche avant de retrouver l’usage de leurs ailes. Je me demande ce qu’elles peuvent bien venir chercher chez moi. Je jette un regard par la fenêtre donnant sur la forêt. Près du lac il y a une lueur rouge au-dessus des arbres. Le vent se lève. Je vois la forme du vent sur l’eau.

Les gens aiment bien qu’on leur raconte des choses avec modestie et sur le ton de la confidence, mais sans trop se livrer. Ainsi ils pensent vous connaître, mais ce n’est pas vrai. Ils connaissent des choses sur vous, ils ont appris certains détails, mais ils ne savent rien de vos sentiments ni de vos pensées, ils ignorent comment les événements de votre vie et les décisions que vous avez été amené à prendre ont fait de vous celui que vous êtes. Ils se contentent de vous attribuer leurs propres sentiments et leurs propres pensées ; avec leurs suppositions, ils reconstruisent une vie qui n’a pas grand-chose à voir avec la vôtre. Et vous êtes en sécurité. Si vous voulez rester à l’écart, personne ne peut vous atteindre. Il suffit de sourire poliment et de ne pas céder à la paranoïa ; malgré vos contorsions ils parleront de vous dans votre dos, vous ne pourrez pas l’éviter. Et vous feriez sans doute pareil.

47 commentaires sur « Per Petterson, Pas facile de voler des chevaux »

    1. Attends, un de ces jours tu vas te lancer dans la littérature scandinave… J’ai parcouru ton index pour trouver un nordique que j’aurais pu comparer à cet auteur, et soit je ne les connais pas, soit ils n’ont aucun point commun. Difficile en effet de le comparer à Paasilinna ou à un auteur de polar…

      J’aime

  1. Comme toi, j’ai vraiment apprécié ce récit, sa construction elliptique. Je trouve que le charme opère justement parce que tout n’est pas dit, ce n’est pas nécessaire, et bien plus parlant … ( en ce cas du moins !). Je compte bien poursuivre avec « Maudit soit le fleuve du temps ».

    J’aime

  2. Pour le moment, je suis en Suède avec Goran Turnstrom alors pourquoi ne pas passer à la Norvège ensuite? Je ne suis pas étonnée que Keisha soit tentée par cette lecture! 😉

    J’aime

  3. un livre que j’ai lu avec grand plaisir (pas de billet car il ne m’appartenait pas et je l’ai rendu sans avoir pris de notes) j’ai aimé l’atmosphère et l’écriture

    J’aime

  4. J’ai bien aimé Maudit soit le fleuve du temps, où un fils accompagne sa mère gravement malade dans une cabane d’été et se souvient de sa vie familiale, sentimentale et des espoirs déçus de son père… Celui-ci me tente aussi, à l’occasion.

    J’aime

  5. J’avais adoré ce roman ! Je l’avais trouvé très délicat, très subtil. J’avais bien aimé l’alternance entre l’adolescence et la vieillesse du personnage principal et plein de jolis moments (comme celui sur Dickens qu’il lisait à sa fille). Tiens, tu me donnes envie de le relire ! 🙂 Après je m’étais procuré Dans le sillage, mais ne l’ai toujours pas lu…

    J’aime

  6. Tiens c’est marrant je viens de le lire aussi (en poche !). Mais contrairement à toi je me suis beaucoup ennuyée, surtout vers la fin et notamment parce qu’on n’a pas toutes les réponses… Je comprends ton point de vue mais je n’ai été spécialement attentive que lorsqu’il parle de son père pendant la guerre et j’ai été bien déçue de ne pas en savoir plus.
    Bref, déception pour moi

    J’aime

    1. Je prends goût aux livres qui ne donnent pas toutes les réponses… et qui font qu’on continue à cogiter après les avoir fermés. Mais c’est assez personnel et peut ne pas convenir à tout le monde. 😉

      J’aime

  7. C’est « marrant » je viens de lire un de ses premiers romans « Jusqu’en Sibérie », que j’ai apprécié mais pas autant que « Je refuse », également du même auteur; Et là, je dois dire qu’il me fait encore de l’œil ce Norvégien 🙂
    Je trouve beaucoup de sensibilité sur ce qu’il écrit à propos des rapports familiaux. Je le note.

    J’aime

Et vous, qu'en pensez-vous ?