« Peut-être qu’ils détenaient un secret, une aptitude particulière, tels ces Indiens qui, dit-on, ignorent le vertige et construisent des gratte-ciels en Amérique à des centaines de mètres au-dessus du vide. Valser avec le danger, l’enlacer à la lisière de l’abîme et tanguer sans trembler aux frontières de l’enfer les rendaient irrésistibles. »
Le choix de ce roman s’est imposé à moi : une maison d’édition dans laquelle j’ai confiance, un premier roman, la fin de la guerre comme époque et la côte près de Hyères comme décor… tout était là pour me tenter.
Au printemps 1945, un homme se présente pour devenir démineur sur les plages de la Côte d’Azur. Les Allemands y ont en effet laissé tellement d’engins explosifs enfouis qu’il est impossible de laisser la population retrouver le bord de mer. Vincent semble bien mystérieux, on sait qu’il a été prisonnier en Allemagne, et qu’il cherche une femme prénommée Ariane. De révélations en révélations, son histoire va être dévoilée. Il n’est pas le seul, chacun des démineurs, jusqu’au chef de groupe, arrive avec un bagage particulier, qu’il ne raconte que rarement.
Les volontaires étant peu nombreux, attirés souvent par des primes conséquentes liées au risque, des prisonniers allemands sont envoyés en renfort, à l’encontre de la convention de Genève, mais en cette fin de guerre, cela semble dérisoire. Enfin, Vincent va aussi rencontrer Saskia, une toute jeune femme revenue seule des camps et décidée à se réapproprier la maison familiale indûment occupée.
« Vincent pressentait que le déminage allait l’absorber tout entier et le canaliser en attendant des réponses qui mettraient du temps à venir. Il allait progresser comme ça, pas à pas, mètre carré par mètre carré. Entourer d’un fil de soie chaque mètre carré déminé. Il pourrait même y trouver une forme de sérénité. Et à cette minute, c’était tout ce qu’il souhaitait pour ne pas devenir fou. »
Ce roman marque d’abord par sa parfaite documentation sur l’époque et le travail des démineurs. Le contexte de la fin de guerre et du déminage m’a intéressée bien avant l’histoire d’amour de Vincent qui semble idéaliser sa passion pour Ariane, disparue brusquement un an avant son retour. Toutefois, les questions sur ce qu’elle est devenue sont habilement posées et la quête Vincent donne beaucoup de vivacité au roman.
L’intérêt vient aussi de la psychologie des personnages, vraiment soignée. L’autrice a particulièrement bien évoqué le difficile retour à la vie normale, que ce soit de retour d’un camp ou du maquis. A cet égard, le personnage de Saskia est vraiment touchant.
J’ai trouvé l’action et les dialogues soignés et crédibles, par contre, les lieux ne sont pas assez représentés à mon goût. Je revenais de la région de Hyères, et le manque de descriptions, tout comme les transitions trop rapides d’un endroit à un autre, ne m’ont pas fait du tout retrouver la ville. Cette remarque toute personnelle ne doit pas faire oublier ce premier roman remarquable, que la postface éclaire de manière très émouvante.
N’hésitez-pas donc à vous faire votre propre avis !
Un monde à refaire de Claire Deya, éditions de l’Observatoire, janvier 2024, 413 pages.